Le phénomène donne lieu à une production musicale d'envergure 3 . Anik Devries 4 relève, dans son recensement des catalogues Leclerc, deux cent cinquante neuf compositeurs, dont quarante et un, soit 15,8%, ont écrit pour vielle et (ou) musette. Robert Green 5 , qui recense la totalité des ouvrages portant la mention vielle sur la page du titre, fait état de deux cent douze oeuvres publiées entre 1710 et 1765.
De plus, il existe à notre connaissance, sept traités, méthodes ou ouvrages apparentés, consacrés totalement ou partiellement à l'apprentissage du jeu de la vielle ; nous les étudierons en détail.
On notera aussi que la facture de l'instrument sera radicalement transformée à cette même époque du baroque tardif 6 . En ce qui concerne l'aspect quantitatif du travail des luthiers, pour ce qui est de la facture de la vielle Sylvette Milliot 7 reconstitue une liste des Inventaires après décès des biens des luthiers parisiens. Sur un total de vingt trois inventaires pris en compte à partir de 1730, quatorze indiquent la présence de vielles à roue fabriquées ou en construction. L'instrument revêt une importance sociale suffisante pour que plus de la moitié des luthiers ait intégré, dans leur métier, la facture de la vielle.
On peut aussi consulter l'inventaire, réalisé par Bruni 1 , des instruments de musique trouvés, en l'an II, aux domiciles des émigrés et condamnés à l'époque de la Terreur. Il nous informe indirectement sur ce qu'il est advenu de la vielle, dans les milieux aisés ou aristocratiques à la fin du XVIIIe siècle. Sur un total de cent onze maisons inventoriées, on trouve cités trente quatre instruments différents.
Un premier groupe de trois instruments se détache nettement. Vient d'abord un dessus, le violon cité soixante treize fois, suivi de deux instruments le plus souvent utilisés pour réaliser une basse continue, à savoir le forte piano (à l’époque instrument moderne) cité cinquante neuf fois et le clavecin (l'instrument ancien) cité cinquante six fois.
Loin derrière vient un groupe d'instruments divers : la guitare citée vingt deux fois, la flûte et la harpe (citées dix huit fois), l'alto (cité dix sept fois), la basse (citée quinze fois) et le cor de chasse (cité neuf fois), probablement présent dans les inventaires en raison de sa place dans les chasses à courre).
La vielle, citée huit fois, occupe la dixième place, juste derrière les instruments que nous venons de citer. Elle précède, dans l'ordre du classement une série de cent un instruments variés allant du violoncelle (cité sept fois) à une multitude d'instruments les plus divers, souvent cités deux fois comme la musette et le hautbois ou une fois comme la serinette.
On voit que la vielle occupe à la fin du XVIIIe siècle, une place relativement modeste qui témoigne de la désaffectation dont elle est l'objet, désaffectation cependant plus récente que celle qui touche la musette puisque celle-ci est seulement citée 2 fois. Mais probablement la vielle est-elle un instrument d'apparence suffisamment étrange pour qu'on ait voulu la conserver, alors même que son propriétaire ne la jouait plus.
L'engouement pour les instruments champêtres, vielle et musette, produira même, selon Ancelet, un véritable effet de terrorisme mondain. Cet auteur se plaint de la puissance sociale des instruments champêtres à la mode ; on ne saurait les critiquer de peur « d'indisposer la multitude de leurs partenaires », en effet, « tout ce qui est soutenu par la mode est non seulement à l'abri de tout reproche, mais ceux qui y résistent sont exposés à la risée publique » 1 .
Voir la quatrième partie de ce travail consacrée au répertoire.
DEVRIES, Anik, Edition et commerce de la musique gravée à Paris dans la première moitié du XVIII e siècle, Genève, Minkoff, 1976, p.129/272.
GREEN, Robert, A, The hurdy-gurdy in eighteenth century France, Indianapolis, Publications of the Early Music Institute, 1995.
Voir le chapitre 11 consacré à la lutherie.
MILLIOT, Sylvette, Histoire de la lutherie Parisienne du XVIII e siècle à 1960, tome 2 : Les luthiers du XVIIIe siècle, SPA, Les amis de la musique, 1997, p.370/371.
BRUNI, Antonio-Bartholoméo, Un inventaire sous la terreur. La liste des instruments de musique saisis chez les émigrés et condamnés, An II, J. Gallay ed, Paris, Georges Chamerot, 1890.
ANCELET, Observations sur la musique, les musiciens et les instruments, Amsterdam, 1757. Fac simile : Genève, Minkoff, 1984, p.31.