4.4. La musette et la vielle dans la fête champêtre aristocratique 1

Ecoutons D'Aquin de Château-Lyon 2 :

‘« Les amateurs de fêtes champêtres et des amusements de la campagne m'en voudraient trop si je ne parlais de la musette […]. La musette semble faite pour la solitude des bois et pour exprimer les soupirs d'un amant. Transportez vous dans l'ancien temps, voyez les bergères ornées de guirlandes de fleurs, qui, sur le soir, ramènent leurs troupeaux, entendez Corydon qui fait résonner sa musette : vous voilà ravi, vous regrettez ce siècle heureux...mais j'entends Charpentier, je le crois du pays : il est gai, content, les sons qu'il fait éclore me transportent, je suis au hameau. Quelle délicatesse ! Jamais berger avec son talent n'aurait trouvé de cruelle ». ’

Dans ce même ordre d'idée, Cheville le Cadet explique que c'est pour donner un « ton champêtre » au Printemps de Vivaldi qu'il en a écrit une transcription pour musette ou vielle de cette œuvre. Quand il dédicace « Les Défis ou L'Etude Amusante », œuvre écrite pour ces deux mêmes instruments, il peut écrire : « Mes vœux seront comblés si j'ai réussi à vous délasser l'esprit et si les chants des Bergers que j'ai taché d'imiter peuvent au milieu du tumulte de la ville, vous faire goûter les plaisirs innocents de la campagne ».

. Citons encore le duc de Luynes 3 :

‘« La Reine, en y arrivant (à Dampierre) trouva une troupe de jardiniers et de jardinières, avec toutes sortes d'instruments de musique comme musette, vielle [souligné par nous], et, qui vinrent au devant d'elle avec des habillements blancs, ornés de rubans ; ils exécutèrent devant S. M. plusieurs morceaux de musique, vocale et instrumentale, tirés de différents auteurs. Le petit comte de Dunois était à la tête des jardiniers, vêtu comme eux ; il fit un petit compliment à la reine, que Godichonne chanta ensuite devant S. M. Immédiatement après ce divertissement, la Reine se mit au jeu ».’

Les titres donnés aux pièces musicales pour musette ou vielle sont eux aussi significatifs de cette connotation prêtée aux deux instruments : Les cascades, Entrée des bergers, Musette gracieusement, divertissement champêtre, Air champêtre, A l'ombre de ce vert bocage, Assis sur l'herbette, Dans nos bois, A l'ombre d'un ormeau, Pastorale, Marche des bergers, Noce de village, pastourelle…

Ces deux instruments à bourdons, que sont la musette et la vielle, sont tous deux présents dans les milieux proches de la cour du roi de France à l'époque baroque, mais avec un décalage dans le temps. La musette est déjà un instrument de cour au XVIIe siècle ; dans un premier temps, elle est jouée par des musiciens professionnels au service du roi qui font alors partie de La bande de La Grande Ecurie au titre de membres des « hautbois et musettes de Poitou ». La musette est ensuite jouée par les nobles lorsque s'installe la mode des bergeries. « Dans l'état où est à présent la Musette on ne peut rien trouver de plus doux, ni de plus merveilleux que les concerts qu'on en fait, comme on le peut juger par ceux qui contribuent souvent à ce divertissement de notre invincible monarque. Les représentations pastorales et champêtres ne s'en sauraient passer et nous en voyons presque tous les ans dans les ballets du Roi » 1 .

Non seulement cette captation de la musette par le milieu aristocratique semble s'appuyer sur un enracinement villageois bien plus important que celui qui caractérise la vielle, mais encore elle est plus ancienne.

Il est vrai que la vielle à roue fait une brève apparition sous le règne de Louis XIV, vers 1670-1680, en raison d'une mode due probablement à la carrière fulgurante de deux joueurs célèbres, La Roze et Janot. Mais elle ne réussit vraiment à s'imposer à la cour de France et à l'aristocratie que sous le règne de Louis XV, peut-être sous l'influence de la musette avec qui elle entretient une parenté sonore en raison de ses bourdons, et dont les origines villageoises seraient en quelque sorte transférées sur la vielle.

Notes
1.

On lira des analyses proches de celles que nous proposons, mais qui utilisent la musette comme objet d’études, dans JAM, Jean-Louis, « Marsyas poli par la Cour », Studies on Volotaire and the eighteenth century, 329, p.149/159, p.156.

2.

D'AQUIN de CHATEAU-LYON, Pierre Louis, Siècle littéraire de Louis XV ou lettre sur les hommes célèbres, Amsterdam, Duchesne, 1753, 1754.

3.

DUFOURCQ, Norbert, La musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV, d'après les mémoires de Sourches et de Luynes, (1681-1758), Paris, Picard, 1970, p.94.

1.

BORJON de SCELLERY, Pierre, Traité de la musette, 1672. Fac-simile : Genève, Minkoff, 1985, p.33.