4.5.1. Une cantatille de Le Menu de Saint Philibert

Ecoutons Le Menu de Saint Philibert 1 exprimant ses sentiments de la façon la plus conventionnelle, dans l'Air lent qui inaugure sa cantatille à la gloire de la vielle :

‘« Quels sons brillants se font entendre !
C'est la lyre du Dieu du jour ;
Sans doute qu'il vient nous apprendre
A célébrer le tendre amour
Sans doute qu'il vient nous apprendre
A célébrer le tendre amour
Quelle volupté dans notre âme
Répandent des airs si touchants !
Quel doux plaisir ! il nous enflamme,
Eprouvons ses charmes puissants.
C'est la lyre du Dieu du jour ; sans doute.’

On enchaîne avec le récitatif :

‘Que vois-je ! ce n'est point Apollon ni sa lyre.
Quel mortel m'abuse aujourd'hui ?
Comment peut-il avoir sur les cœurs tant d'empire ?
Je n'en suis point surpris, c'est l'aimable Dangui 2 .
Sous ses doigts la Vielle charmante
Rend des sons toujours enchanteurs
Que son harmonie est touchante !
Tout cède à ses accords flatteurs. ’

Vient ensuite un autre Air :

‘Vielle aimable, régnez sans cesse,
Charmez les mortels et les Dieux : (bis)
Par vos accords mélodieux
On voit triompher l'allégresse. (bis)
Faites taire tous les oiseaux,
Imposez silence aux musettes ;
Vous êtes dans des mains parfaites,
Devez-vous craindre des rivaux ?
Vielle aimable, régnez sans cesse,
Charmez les mortels et les Dieux :
Par vos accords mélodieux
On voit triompher l'allégresse (bis) ».’

Le conventionnel, tel que le veut l'époque, n'a pas de limites quand il est au service d'un panégyrique. Il y a tout dans ce texte : la lyre mythique, Apollon le vielleux concurrencé par Dangui le virtuose, l'amour et la volupté. La vielle retrouve le mythe, ce paradis perdu de l'utopie ; l'instrument réussit à faire revivre l'indifférenciation fusionnelle, les hommes et les dieux sont confondus dans ce charme que génère la vielle, les oiseaux pourraient même se joindre à eux…

Peut-être devrait-on dire que cette cantatille est plus une invocation adressée à l'esprit de la vielle qu'une pièce musicale composée pour une vielle réelle. L'auteur intitule en effet son œuvre de la façon suivante : « La VIELLE, cantatille avec accompagnement de vièle ou flûte et de violon » ; or le texte chanté que nous venons de transcrire est précédé d'une introduction instrumentale pour « vièle ou flûte » et suivi d'un Air écrit lui aussi pour « vièle ou flûte ». Il serait donc considéré comme normal, en l'absence d'un joueur de vielle que les « sons mélodieux » de la vielle dont parle le chanteur soient produits par une flûte, sans que l'auditeur ne s'en offusque.

Notes
1.

LE MENU DE SAINT PHILIBERT, La Vielle, Cantatille avec Symphonie, Paris, 1742. Nous reparlons de cette cantatille dans notre chapitre 20, section La vielle brillante.

2.

Célèbre virtuose de la vielle dont nous parlerons dans notre chapitre 9 : Les joueurs de Vielle et dans notre chapitre 21, section 21.1. : L’illustre Danguy.