5.1.2. L'aveugle

Si le mendiant est aveugle, son aura d'étrangeté et les mouvements d'attirance/répulsion qu'il provoque en seront renforcés.

En effet, la cécité redouble en quelque sorte le clivage ou le contradictoire (Dieu et Satan, bon et mauvais) que nous venons de décrire à propos du vagabond. La cécité est un châtiment infligé au coupable ou au pêcheur ; on songe naturellement à Œdipe qui se punit en s'aveuglant, à Samson qui devient aveugle pour avoir déplu à Yahvé ; la mythologie montre bien que l'aveuglement est une des sanctions préférées des dieux.

Au Moyen Age on retrouve un point de vue similaire. Dufournet 1 cite un texte du XIIIe siècle qui appartient au recueil des Miracles de Notre Dame de Chartres ; il met en présence un aveugle ou borgne qui est qualifié, (selon la traduction proposée par Dufournet) de débauché, médisant, menteur, moqueur, diseur de bourdes, plein de ruses, de fausseté, glouton et buveur, par opposition à un autre personnage qui, lui, est un muet décrit comme pieux, et béni de Dieu. Comme le remarque Dufournet : « ce qui était métaphore du péché, que ce soit la lèpre ou la cécité, est devenu péché, conséquence du péché, et l'aveugle a fait figure de pécheur ».

En revanche, l'aveugle, peut-être parce qu'il n'est pas distrait par le spectacle du monde, a vision de l'essentiel ; il pourra être considéré comme un sage, détenteur d'un savoir primordial. Les devins sont souvent aveugles et c'est souvent ainsi que les sculptures nous montrent Homère. De même, « le chrétien aveugle ne souffre pas de son infirmité puisqu'il a la lumière intérieure ». (Dufournet 2 ).

Notes
1.

DUFOURNET, Jean, Le garçon et l'aveugle, farce du XIII e siècle, Paris, Champion, 1989. p.53/54.

2.

Ibid, p.60.