6.3. Conclusion

L'aspect mystérieux (visuel et sonore) de la vielle, auquel s'ajoutent les sensations cénesthésiques et les émotions que l'on peut éprouver à en jouer, ainsi que ce que le vielleux en communique par sa posture, est bien propre à renforcer l'atmosphère liée aux productions mythiques qui infiltrent les représentations de la vielle à roue et de son idiome sonore.

L'analyse psychologique que nous venons de tenter montre que les positions affectives face à la vielle peuvent s'entendre comme un système d'attirance/répulsion. Ainsi pourrait se trouver renforcée la dualité que nous avions précédemment rencontrée entre une attirance pour un monde paysan idéalisé et une répulsion ou une crainte face au monde des gueux.

En effet, l'étrangeté « consubstantielle » à la vielle devrait agir à deux niveaux.

-D'abord, son étrangeté l'affilie à l'occulte, à la sorcellerie, à la maladie comme à sa guérison, mais aussi aux liens archaïques que paraissent nouer avec elle ceux qui la côtoient. Ainsi, l’aura mystérieuse de la vielle, déterminée par sa situation sociale d’origine (« la lira mendicorum ») se trouve-t-elle confirmée et même amplifiée. Ainsi prend-t-elle en dépôt les réactions émotionnelles qui accompagnent le statut mythique du gueux aveugle, cet étranger qui pourrait être dieu à moins qu'il ne soit diable. Le baroque aura donc à décontaminer l'instrument pour éliminer le misérable proche du démon afin que ne demeure que l'instrument d'Apollon.

-Ensuite, l'infiltration imaginaire transformerait la vielle à roue, instrument absolument improbable, en un objet-vecteur pour la quête arcadienne. L'étrangeté de la vielle entraîne flou, ambiguïté et indécidabilité. On peut donc la considérer comme une sorte de « surface projective » susceptible d'être psychiquement reconstruite par l’imaginaire, à partir des externalisations ou projections les plus fréquentes à l'époque baroque. Est donnée une vielle paysanne, mais infiltrée d'imaginaire, ce qui rend son contour imprécis et ce qui brouille la représentation qu'on pourrait en avoir. Pourra s'y substituer alors, dans le travail du mythe arcadien, la représentation de la « lyre d'Apollon ». Celle-ci résulte d'une reconstruction de l'imaginaire, mais servie par des transformations de réalité dont il nous faudra aussi rendre compte ¹ .