7.4. Fanchon la vielleuse

Françoise Chemin, femme Ménard, surnommée Fanchon la vielleuse est née en Savoie, probablement en 1737.

L'image que l'on en a construit correspond tout à fait à ce qui est projeté dans celle du petit savoyard. Donnons la parole à Hirsch 4 :

‘« La salle est comble, surexcitée, quand le rideau rouge se lève. Nous sommes à l'hiver 1803, ou, plus exactement, le 28 nivôse an XI. Et nous avons le privilège d'assister à la première de "Fanchon la vielleuse", mélodrame en trois actes de MM Bouilly et Pain, que le plus fameux compositeur de vaudeville du moment J.-D. Doche, a agrémenté d'une consistante musique de scène : cinquante et un numéros de chant, une ouverture symphonique et deux entractes !
Le public n'a d'yeux que pour l'héroïne ; yeux qui larmoient tant et plus quand cordes, flûtes et bassons de l'orchestre se font pleurnichards et que la jeune fille, son instrument en bandoulière entonne cet air qui deviendra célèbrissime :
Aux montagnes de la Savoie
Je naquis de pauvres parents ;
Voilà qu'à Paris on m'envoie,
Car nous étions beaucoup d'enfants
Je n'apportais hélas en France,
Que mes chansons, quinze ans, ma vielle et l'espérance ».’

Victor Fournels 1 développe le même thème en 1887, en faisant allusion aux mêmes textes :

‘« Née de pauvres parents, aux montagnes de la Savoie, selon la chanson qu'ils mettaient dans sa bouche [il s'agit de Bouilly et de Pain], Fanchon serait venue à Paris n'apportant pour tout bagage que "ses quinze ans, sa vielle et l'espérance". Par bonheur, ses quinze ans avaient de beaux yeux, une bouche charmante, des bras mignons, une main potelée ; et, ainsi pourvue, la petite vielleuse ne pouvait manquer d'enchanter en même temps toutes les oreilles et tous les yeux. Mais elle était aussi vertueuse que belle. Amie des grands seigneurs et des poètes célèbres, en tout bien tout honneur, elle ne profitait de ses relations comme de la fortune acquise par ses talents, que pour protéger l'innocence, et, après avoir épousé un colonel déguisé en artiste, elle finissait par quitter son brillant hôtel de Paris pour retourner au village. Voilà le roman ».’

De ce « roman », on retiendra donc que l'on a fait de Fanchon une incarnation du petit savoyard tel qu'il est censé être. Elle en a la pauvreté d'origine, le courage, et la vertu. On aime sa fraîcheur qui commence à désigner que sous l'enfant se profile l'adulte séduisante mais non séductrice (?). Comme joueuse de vielle à roue, elle a aussi du talent qu'il soit réel ou supposé.

On remarquera toutefois que si le personnage de Fanchon accompagne le phénomène en le nourrissant et en le renforçant, il ne le crée pas. La représentation magnifiée du petit savoyard est déjà présente quand Fanchon vient à Paris ; c'est plutôt au titre d'une mise en représentation tardive de celui-ci qu'elle se trouve ainsi glorifiée.

Cela explique peut-être l'utilisation frénétique qui sera faite de notre héroïne. Revenons à Hirst 1 :

‘« La pièce (précédemment citée) connut un tel engouement que pendant une décennie elle vit s'engouffrer dans son sillage une véritable avalanche de plagiats, de pâles démarcations ou de revues locales et même un opéra-comique. Ceux-ci, lorsqu'ils n'étaient pas purement et simplement homonymes, déclinaient toutes les variations possibles autour du titre de l'œuvre initiale : ainsi vit-on "La vielleuse du boulevard", "Les trois Fanchon", "Fanchon toute seule", "Fanchon la vielleuse à Lyon", "Fanchon de retour dans ses montagnes" ».’

Ainsi essaiment les avatars d'une idéalisation. De plus, la Fanchon réelle a le malheur ou le bonheur de grandir. C'est encore Hirsch 2 , qui, après consultation de rapports de police, peut affirmer que Fanchon, après avoir épousé un Niçois de Paris montreur de lanterne magique, amassa une coquette fortune ; « elle tenait, en effet, salon, ce qui attirait bien des messieurs[souligné par nous] ».

Notes
4.

HIRSCH, Jean-François, « Fanchon et les petits vielleux », Alpes magazine, octobre 1992, n°17, p.42.

1.

FOURNEL, Victor, Les cris de Paris, Paris, Firmin-Didot, 1887.

1.

HIRSCH, Jean-François, « Fanchon et les petits vielleux », Alpes magazine, octobre 1992, n°17, p.42.

2.

Ibid, p.48.