Qu'en advient-il ensuite, avec le XVIIe et le XVIIIe siècle ? La Ménestrandise entre en décadence. Comme le dit Philippe Beaussant, elle symbolise « le vieil ordre social où toute profession était structurée, organisée et défendue ». Elle assimilait « le métier de musicien à un artisanat ». Le XVIIe siècle est le siècle des académies ; en musique c'est le siècle de Lully, de la passion de Louis XIV pour la musique et surtout pour la danse.
A côté de la Ménestrandise, la musique et l'appartenance sociale des musiciens s'organisent autour de trois pôles que nous rappelle R. Machard 1 : le Roi (avec la Chapelle, la Chambre et l'Ecurie), la ville de Paris (avec l'Académie Royale et le Concert Spirituel) et d'autres foyers (l'opéra comique et les orchestres privés).
Se profile « un débat fondamental qui va diviser dorénavant et définitivement les deux communautés instrumentales : celui du savoir académique, en opposition au savoir de tradition orale. Alors que la preuve est établie que certains ménétriers possèdent un savoir musical théorique, les académistes les traitent de misérables routiniers, incapables de faire progresser l'art de la danse » 1 . Charles-Dominique cite Louvet de Sceaury, expliquant que, pour les musiciens savants, les ménétriers ne sont que « bateleurs, vielleux, meneurs de singe et marchands de galbanum ». François Couperin, nous y reviendrons plus loin, attaque la ménestrandise dans son Deuxième Livre de clavecin, en feignant d'en avoir peur pour mieux la tourner en dérision.
Tout se passe donc comme si ce qui s'était ébauché au XVIe siècle se réalisait pleinement à l'époque baroque ; lors d'une guerre qui fut aussi juridique, un nouveau type de musicien triomphe de la corporation des ménétriers 2 . Selon P. Beaussant, celle-ci a toujours réuni toutes sortes de musiciens : les meilleurs et les pires. Au XVIIe siècle, le statut qu'un instrumentiste se doit d'envier s'est totalement transformé. Ce que les ménétriers craignaient se produit ; ils se retrouvent du côté des misérables, exclus de la bourgeoisie, entraînés du côté de la déchéance sociale avec comme emblème possible la lira mendicorum, cette vielle à roue qui demeure, à travers les siècles, le fidèle compagnon du gueux. Seul le statut de musicien de cour est devenu porteur d'une démarche de promotion sociale. Il aurait alors été bien difficile de prévoir que la vielle à roue allait occuper une place sociale de choix, quelques années plus tard, sous le règne de Louis XV, à l'époque du baroque tardif.
MACHARD, Roberte, « Les musiciens en France au temps de Jean Philippe Rameau », Recherche sur la musique française classique, 1971, XI, p.5/79.
CHARLES-DOMINIQUE, Luc, op. cit. p.266/267. La citation de Paul LOUBET de SCEAURY est tirée de son ouvrage : Musiciens et facteurs d'instruments musicaux sous l'ancien régime, Paris, Pedone, 1949, p.89.
« Ce qui fait que l'on confond la qualité de chanteur avec celle de ménestrier lorsqu'on veut le ravaler » écrira par exemple Bacilly en 1679 (BACILLY, Bénigne de, L'art de bien chanter, Paris, 1679, p.5).