8.3.2. L'événement fondateur

Dans des domaines très extérieurs à la musicologie (la fondation des institutions et les organisateurs existentiels repérables dans certaines trajectoires de vie), nous avons mis en évidence une quasi-constante. Il s'agit de la constitution, dans l'après coup, d'un récit des origines à forme légendaire et faisant la part belle à une Rencontre ayant fonction initiatrice 2 .

Concernant la famille Couperin et son ascension sociale, Titon du Tillet nous propose un texte caractéristique d'un récit des origines. On ne saurait trop dire si l’événement relaté l'est avec exactitude, mais on sent qu'il est évoqué dans une atmosphère de légende qui lui donne sens dans l'imaginaire généalogique d'une renaissance familiale.

Laissons la parole à Titon du Tillet 3 :

‘« Les trois frères Couperin (alors villageois de Brie), avec de leurs amis, aussi joueurs de Violon, firent partie un jour de la fête de M. de Chambonnière d'aller à son château lui donner une aubade : ils y arrivèrent et se placèrent à la porte de la salle où Chambonnière était à table avec plusieurs convives, gens d'esprit et ayant goût pour la musique. Le Maître de la maison fut surpris agréablement, de même que toute sa compagnie, par la bonne symphonie qui se fit entendre. Chambonnière pria les personnes qui l'exécutaient d'entrer dans la salle et leur demanda d’abord de qui était la composition des airs qu'ils avaient joués : un d'entre eux lui dit qu'elle était de Louis Couperin, qu'il lui présenta. Chambonnière fit aussitôt son compliment à Louis Couperin et l'engagea avec tous ses camarades à se mettre à table ; il lui témoigna beaucoup d'amitié et lui dit qu'un homme tel que lui n'était pas fait pour rester dans une province et qu'il fallait absolument qu'il vint à Paris avec lui ; ce que Louis Couperin accepta avec plaisir. Chambonnière le produisit à Paris et à la Cour, où il fût goûté… ».’

Voilà donc un récit qui fleure bon son conte de fée…Il était une fois trois petits paysans quelque peu facétieux. Ils allèrent visiter une fée en sa demeure (l'aristocrate, maître de la contrée). Ils la séduisirent par des sons harmonieux. Alors la fée, d'un coup de baguette magique, transforma la citrouille en carrosse ou la paysanne en princesse (Louis Couperin, l'heureux élu, se retrouve à Paris, à la Cour, et commence une carrière fulgurante). Le villageois disparaît, advient le musicien de Cour. Le récit de cette transformation aussi radicale que brutale est caractéristique du style des contes de fée et des légendes qui, comme productions de l’inconscient, ignorent le temps, et font surgir, dans l'instant même et sans délai, l'élément miraculeux, féerique ou merveilleux dont Freud dira qu’il marque la réalisation d’un désir. Cette renaissance dans un berceau doré, à la suite d'une rencontre ayant valeur d'organisateur existentiel, est une refondation ; une autre famille Couperin en survient dont François sera le plus illustre représentant.

Du reste, à ce Don de « renaissance » que M. de Chambonnière fait à Louis Couperin succède un contre-don qui a ce dernier comme auteur. Après avoir énuméré les places qui seront offertes à Louis dans le domaine de la musique, Titon du Tillet poursuit : « On voulut même lui faire avoir la place de Musicien ordinaire de la chambre du Roi pour le clavecin du vivant de Chambonnière qui en était pourvu ; mais il en remercia, disant qu'il ne déplacerait pas son bienfaiteur ; le Roi lui en sut bon gré et créa une charge nouvelle de dessus de viole, qu'il lui donna ».

Louis doit reconnaissance à la fée qui a permis qu’il soit musicien de Cour et se refuse à la dépouiller… mais il aurait pu lui nuire, et le nouveau né se révéler plus puissant que la fée qui s'est penchée sur son berceau. Au contre-don de Louis succède, comme il est normal, un contre contre-don du Roi (la charge nouvelle de dessus de viole), qui témoigne de la reconnaissance que le monarque manifeste à ce Louis Couperin qui a su rester à sa place et respecter les prérogatives des aristocrates.

Notes
2.

FUSTIER, Paul, Le lien d'accompagnement entre don et contrat salarial, Paris, Dunod, 2000, p.163/196.

3.

TITON du TILLET, op. cit. p.402.