8.3.6. Coda

On ne saurait quitter Couperin sans citer la préface un peu énigmatique qu'il écrit en 1730, pour son quatrième livre de clavecin, trois ans avant sa mort :

‘« Il y a environ trois ans que ces pièces sont achevées. Mais comme ma santé diminue de jour en jour, mes amis m'ont conseillé de cesser de travailler et je n'ai pas fait de grands ouvrages depuis. Je remercie le Public de l'applaudissement qu'il a bien voulu leur donner jusqu'ici, et je crois en mériter une partie par le zèle que j'ai eu à lui plaire. Comme personne n'a guère plus composé que moi, dans plusieurs genres, j'espère que ma Famille trouvera dans mes Portefeuilles de quoi me faire regretter, si les regrets nous servent à quelque chose après la Vie ; mais il faut du moins avoir cette idée pour tacher de mériter une immortalité chimérique où presque tous les hommes aspirent ».’

Ayant commencé fort tôt sa brillante carrière (vers 20 ans), Couperin, malade, semble maintenant trouver un peu dérisoire, non la ménestrandise de ses ancêtres, mais son propre souci de gravir les échelons de la renommée jusqu'à une « immortalité chimérique ». A un Idéal du Moi entraînant une quête illusoire, il oppose la matérialité des contenus de ses portefeuilles dont sa famille va hériter, en espérant que des partitions encore inconnues qu'on y trouvera le rappelleront au souvenir du public et fourniront à ses proches d’agréables revenus. Ce n'est ni le roi, ni la Cour, ni l'aristocratie auxquels il a pourtant consacré son existence que Couperin remercie en fin de vie, mais le « Public » qui a su l'applaudir. On pourrait en comprendre que l'artisan et ses productions viennent alors occuper le devant de la scène et devront donner valeur à son existence. S'éloigne la chimère pour un homme qui aurait voulu vivre de ce qu'il n'a jamais pu être c’est à dire un grand de ce monde, un noble parmi les nobles.

Ce portrait hypothétique de Couperin n'est pas sans évoquer le modèle proposé par Norbert Elias et qu'il applique à Mozart. Elias considère que les créations d'envergure naissent de la dynamique entre les normes des anciennes couches dominantes sur le déclin et celles des nouvelles couches montantes » 1 . Le destin de Mozart, enfant prodige, formé de façon artisanale par un père bourgeois, mais identifié « à la noblesse de cour et à son goût » 2 souffre d'être encore considéré comme un domestique, un être inférieur alors même que ceux qui le traitent ainsi reconnaissent son génie. Ce drame est aussi celui de Couperin chez qui il s'exprimerait par un conflit de loyauté 3 ; le texte que nous venons de citer et qu'il écrit en fin de vie, marque peut-être une tentative pour mettre la souffrance à distance.

Notes
1.

ELIAS, Norbert, Mozart, sociologie d'un génie, 1991, tr. fr. Paris, Seuil, 1991, p.18/19.

2.

Ibid, p. 34.

3.

Peut-être, chez Mozart, serait aussi présent ce même conflit de loyauté dont un des symptômes pourrait être son attirance spontanée et son goût maintenu pour le populaire.