9.2. La Reine et la Cour

Pour la bourgeoisie aisée, l'aristocratie incarne un idéal à atteindre. Pour l'aristocratie, les us et coutumes de la Cour sont la référence à suivre. Les pratiques sociales de la famille royale servent de modèle aux courtisans.

Or Marie Leszczynska, femme de Louis XV et reine de France joue régulièrement de la vielle. Le duc de Luynes en témoigne : « On lui donne toujours [à la Reine] une petite musique pendant son souper. Elle joue de la vielle en sortant de table, et après cela au cavagnole » 1 . Le duc de Luynes répète à plusieurs reprises cette même information : « elle joua de la vielle pendant quelques temps avec les musiciens » 2 ou encore : « La Reine, après avoir joué de la vielle pendant quelque temps, comme elle fait souvent ici… » 3 .

Mais la Reine n'est pas une bonne musicienne. « Elle aime la musique et joue de plusieurs instruments, médiocrement à la vérité, mais assez pour s'amuser » 4 . Du reste, Luynes s'interroge sur l'authenticité du goût de la reine pour la musique ; s'agirait-il d'un comportement conventionnel, en quelque sorte obligé chez toute personne de haute condition ? « La Reine dit qu'elle aime la musique, et en effet il y a des opéras qui lui plaisent et de petits airs pour la vielle ; mais elle aime encore mieux la cavagnole, quoiqu'elle n'en convienne pas » 5 .

Le duc de Croÿ insiste : « La reine, après le souper, passait dans un cabinet où elle faisait de la musique, jouant fort mal de la vielle, avec des musiciens et quelques jeunes courtisans… Ensuite, elle revenait dans la salle de Madame de Luynes jouer jusqu'à fort avant dans la nuit, à son triste cavagnole » 6 .

Cette médiocrité dans la pratique musicale est attestée par plusieurs auteurs. Il nous intéresse de remarquer qu'une caractéristique psychologique peut lui être associée : « Elle [la reine] en jouait [de la vielle] médiocrement […], se moquant d'elle-même avec cette gaieté, cette douceur, cette simplicité qui siéent si bien à de si illustres personnages » 7 . Ce même trait de caractère est aussi noté par le baron de Pôllnitz : « Elle n'aime ni le faste ni les cérémonies et il ne paraît pas que le rang de première reine du monde ait fait d'autres effets sur elle que de rendre ses vertus plus respectables et plus éclatantes » 1 .

Changement de siècle, changement d'atmosphère : au Roi Soleil et à ses éclats auxquels correspond une musique somptueuse succède un règne plus modeste, plus de simplicité dans le décor musical ; la vielle à roue se satisferait bien de cette moindre ambition.

Notes
1.

DUFOURCQ, Norbert, La musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV d'après les mémoires de Sourches et de Luynes (1681-1758), Paris, Picard, 1970, p.98.

2.

Ibid, p.95 (le 18 août 1745).

3.

Ibid, p 96 (le 30 septembre 1745).

4.

Ibid, p 135 (8 décembre 1749).

5.

Ibid, p 100 (31 mars 1746).

6.

Cette citation du Journal inédit du duc de Croÿ est extraite de GROUCHY de, et COTTIN P, « Un Gentilhomme hollandais, diplomate compositeur, à la cour de Louis XV », Revue de Musicologie, 1988, tome 74, n°1, p.27/52).

7.

Cette citation des mémoires du président Hénault est extraite de HOLLINGER, Roland, Les musiques à bourdon, vielles à roue et cornemuses, Paris, La flûte de Pan, 1982, p.43.

1.

Extrait des lettres du baron de Pôllnitz mentionné par MAUREPOS, Arnaud de, et BRAYARD, Florent, Les français vus par eux-mêmes. Le XVIII e siècle, Paris, Laffont, 1996, p.892.