9.3. La posture de l'aristocrate.

9.3.1. La main de l'aristocrate.

Elle transforme ce qu'elle touche.Les textes d'époque, ceux du moins qui parlent en faveur de la vielle à roue, disent que la vielle était entre les mains des gueux et des mendiants aveugles, qu'elle fût arrachée à ces personnages misérables pour être remise entre les mains des personnes de qualité et qu'elle en fût en quelque sorte miraculée 2 .

On voit « l'idéologie aristocratique » au travail : des individus jouissant d'une supériorité « de sang », dont attestent les quartiers de noblesse, sont aptes, en raison de ce statut, à toucher l'instrument sans qu'un apprentissage (qui serait une contrainte et un aveu de faiblesse) soit vraiment nécessaire. L'instrument en est transformé, il ne peut laisser échapper que des sons mélodieux. Etre (aristocrate), c'est savoir faire (de la musique).

Dans un langage plus contemporain, on pourrait dire que le Don (être musicien) est un facteur inné/héréditaire, lié à la présence d'un « sang bleu ».

Mais néanmoins, la main de l'aristocrate peut être maladroite. Nous venons de remarquer que les chroniqueurs, qui sont trop proches des aristocrates pour en être dupes, soulignent que Marie Leszczynska, reine de France, était une interprète médiocre, gentille mais peu douée. La reine ne saurait jouer que des partitions très simples.

Le problème posé par une aptitude de principe (donnée avec la condition d'aristocrate) alliée malencontreusement à une possible inaptitude réelle n'est pas nouveau pour les compositeurs, quel que soit l'instrument pour lequel ils écrivent. Ils composent des pièces à la gloire du génie de l'interprète à qui ils les dédient, tout en tenant compte du fait que celui-ci peut être dans certains cas de mauvaise qualité, bien qu'aristocrate de haut rang. L'auteur doit alors composer des morceaux dont la facilité d'exécution sera la caractéristique essentielle.

Notes
2.

« Depuis qu'Elle a considéré la vielle comme un instrument capable d'occuper sa délicatesse, il n'est pas étonnant qu'à son exemple les Clairvoyants courent sus aux pauvres aveugles pour leur envahir un Bien qui leur était propre et qui leur appartenait sans autres concurrents. Cependant, ce nouveau Bien, cultivé par l'envie de plaire, s'est enrichit de perles et de chants séduisants… ». BALLARD, Jean Baptiste (éd), Pièces choisies pour la vielle à l'usage des commençants, Paris, Ballard, 1732, Préface.