Nous avons vu qu’une raison sociologique évidente, à savoir l’incompatibilité entre mendicité et aristocratie rend nécessaire que l’instrument soit débarrassé de ce qui évoque son statut misérable.
Encore faut-il savoir ce qui, dans le domaine du musical doit ainsi être éliminé. A l’époque baroque, il y a unanimité à ce sujet.
Il faut d’abord faire disparaître tout ce qui est incompatible avec une production musicale digne de ce nom :
-les bruits parasites obligés quand l’instrument est de facture médiocre
-les sons faux, qu’il s’agisse des notes émises par les chanterelles ou de l’accord avec les bourdons
-le caractère peu audible de la mélodie puisque celle-ci est recouverte par la puissance sonore des bourdons et par le bruit du chevalet mobile.
Tous ces défauts majeurs 1 produisent un « charivari »perpétuel, selon le mot de Carbasus 2 , repris à son compte par Piis 3 . Ils ont pu, sans grand inconvénient pour l’instrument, faire partie des caractéristiques de la vielle mendiante, dans la mesure où l’objectif recherché par les vielleux aurait été d’attirer l’attention de personnes charitables et non de faire de la musique. Il s’agissait de mendicité et non de spectacle de rue, à l’exception peut-être du cas particulier des petits savoyards.
Il y aura donc lieu de faire en sorte que la vielle à roue puisse être considérée comme étant réellement un instrument de musique, ce qui supposera des modifications touchant à la lutherie et un soin particulier accordé aux réglages.
De plus, on assiste à une remise en cause d’un style musical qui s’accorde avec un certain type de répertoire souvent chanté par le mendiant avec accompagnement de vielle. Cette dernière est considérée comme un instrument qui s'exprime de façon monotone, lente, fade et sans relief, pour tout dire pesante ; les mélodies se traînent lentement et l'auditeur s'ennuie. Citons Furetière : « On dit d'un homme lent, il est long comme une vielle » 1 ou encore : «Les gens à la journée ne font que vieller, s'ils n'ont quelqu'un qui les presse » 2 . La vielle impose à l'auditeur son « cornement perpétuel » 3 ; on peut aussi parler de « son cri borné et monotone » 4 . Quand Bacilly 5 veut se moquer de certains chanteurs dont « le chant est bien fade et peu animé et ne fait qu'ennuyer à la longue », il écrit qu'au lieu de « dire voilà ce qui s'appelle chanter », on pourrait « leur dire avec justice : voilà ce qui s'appelle vieller ». A propos des instrumentistes, Quantz parlera des « mauvais exemples de ceux qui lient tout ensemble sans distinction et d'une manière qui rend leur expression égale à celle d'une vielle » 6 .
Voir aussi les citations proposées chapitre 5, section 5.2.2. : La lyra mendicorum, les écrits.
CARBASUS, Abbé de, Lettre de Monsieur l'abbé Carbasus à Monsieur D°°° auteur du « Temple du goust » sur la mode des instruments de musique, Paris, 1739, p.9.
PIIS de, L'harmonie imitative de la langue française, 1785.
FURETIERE, Antoine, Dictionnaire universel, Paris, 1690, art. « Vielle ».
Ibid, art. « Vieller ».
ANONYME, « Lettre écrite de Paris le 29 juillet 1738, sur les Mémoires pour servir à l'histoire de la musique », Mercure de France, août 1738, p.1721/1736, p.1722.
BATON, Charles, Mémoire pour la vielle en d/la/ré, dans lequel on rend compte des raisons qui ont engagé à la faire, Mercure de France, octobre 1752, p.144.
BACILLY, Bénigne de, L'art de bien chanter, Paris, 1679. Fac simile : Genève, Minkoff, 1974, Avant propos, p.5.
QUANTZ, Johann Joachim, Essai d'une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, Berlin, 1752, cité par MAILLARD, 1996, p.14.