10.2.2. La délicatesse, la tendresse et le goût.

Mais en recherchant le brillant, peut-être n'évacue-t-on pas tous les défauts de l'instrument. « Les sons éclatants sont sujets à l'aigreur, comme ceux de la vielle ou du hautbois » pense Rousseau 1 . Dans l'Encyclopédie, on lit qu'il y a des gens « qui ont l'oreille dure ; ils ne sont sensibles qu'à des mesures bien marquées, à des airs bien décidés […] il faut à ces gens-là des airs vifs, gais, animés […]. Un violon excellent leur plaira moins qu'une vielle qui marque très distinctement les cadences » 2 . « L’oreille dure » du mauvais musicien se satisfait du brillant ; la vielle, en voulant cultiver cette qualité, n'évite pas la totalité des critiques. Elle devra donc savoir changer de style, agrandir son répertoire et s’intéresser aussi à la catégorie des airs tendres pour montrer ce dont elle est capable quand elle renonce aux « mesures bien marquées » et aux « airs bien décidés ».

Dupuits a composé des « pièces de caractère » pour vielle, réputées pour leur extrême difficulté d'exécution et caractérisées par un « brillant » que seul un virtuose peut rendre. Cependant, dans l'avertissement qui les précède, on lira cette phrase, très rousseauiste d'inspiration : « J'ai mêlé des pièces de différents mouvements pour l'amusement de tout le monde ; une pièce tendre exécutée avec délicatesse, avec goût, est, suivant moi, plus à préférer qu'une pièce qui n'a pour tout mérite qu'une grande volubilité, et laquelle il ne reste rien après l'avoir entendu que la surprise » 3 . Dupuits exprime ici que mieux vaut la tendresse que le brillant.

Bien que sous la plume de Dupuits et concernant une œuvre particulièrement complexe, de tels commentaires puissent étonner, ils sont en tout cas tout à fait conformes à ce qui peut s’exprimer ailleurs, concernant le répertoire de la vielle et la manière d’en jouer. Il s’agit d’un instrument remis en vigueur pour exécuter de la musique champêtre, pour interpréter en les transformant par la baroquisation, les airs tendres, brunettes ou musettes propres au monde arcadien. Le maniement de la roue et les enflements qu’elle réalise, comme l’utilisation de certains agréments sont mis au service de cet objectif, répondant ainsi à la commande en provenance du monde des aristocrates.

Notes
1.

ROUSSEAU, Jean-Jacques, Dictionnaire de musique, Paris, 1768. Fac simile: Genève, Minkoff, 1998, art. « Timbre ».

2.

DIDEROT, Denis, d'ALEMBERT, Jean, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, art. « Musique » (non signé).

3.

DUPUITS, Baptiste, Avertissement, pièces de caractère pour la vielle, Œuvre V, Paris, 1741.