10.4. Conclusion

Nous pouvons donc maintenant préciser l’état de notre problématique et indiquer ce qu’il nous reste à mettre au travail :

Nous savons qu’à l’époque du baroque tardif, la vielle à roue est l’objet d’une entreprise « symbolique ». Il s’agit d’une part de la décontaminer, de la débarrassant de ce qui la déshonore en rappelant son origine misérable. Il s’agit d’autre part de faire advenir une « nouvelle vielle », cette « lyre d’Apollon » au service de l’évocation et de la quête arcadienne.

Nous savons aussi que cette transformation symbolique opère à partir d’une mutation sociale radicale. L’instrument du mendiant devient, en quelques années, l’instrument de l’aristocrate (aux champs). Mais il existe aussi des professionnels qui voudront vivre de cette nouvelle vielle, qu’ils soient instrumentistes ou pédagogues. Ces bourgeois de la vielle seront en position de classe moyenne. Ils sont aspirés par le modèle aristocratique auquel ils veulent s’identifier, et la nouvelle vielle pourrait constituer pour eux un « ascenseur social » efficace ; mais ils sont simultanément menacés par une régression sociale, un retour à ce statut de misérable que l’histoire a octroyé au vielleux.

Nous avons donc jusqu’alors pris en compte l’aspect symbolique et l’aspect social de la question que pose l’existence d’une vielle baroque. Reste à en voir les conséquences musicales, esthétiques comme techniques, ce qui sera l’objet des deux prochaines parties de ce travail, consacrées pour l’une à la fabrique de l’instrument et aux techniques de jeu, et pour l’autre aux caractéristiques de son répertoire. Il s’agira alors d’interroger la réalité musicale, de mieux comprendre si effectivement l’instrument a changé, si la façon d’en jouer est particulière, s’il existe une musique pour vielle en accord avec les objectifs que nous avons mis en évidence.

Ce court chapitre intermédiaire nous a servi de transition ; nous y avons observé quelles spécificités sonores ou musicales (le « bruitage » et le caractère pesant) étaient incompatibles avec l’esthétique baroque ; nous avons, en revanche, indiqué que « brillance » mais aussi « délicatesse » seraient les caractéristiques que le luthier aurait à promouvoir dans la facture de l’instrument, comme le compositeur dans l’œuvre qu’il écrit.