11.1.2. Luths et guitares

Mais la vielle n'est pas encore instrument à la mode. Coïncidant avec sa montée en puissance dans les cercles aristocratiques, une mutation radicale de la facture de l'instrument apparaît dans la première partie du règne de Louis XV. « Au commencement du XVIIIe siècle, la vielle était encore telle qu'elle avait été sur la fin du siècle précédent, la forme était à peu près carrée » nous apprend Terrasson 3 . Celui-ci date pourtant de 1716 l'initiative qui a conduit à un bouleversement de la lutherie de la vielle. Il décrit ainsi l'événement :

‘« Ceux qui fabriquaient cet instrument cherchaient à en corriger les défauts ; sans quoi la mode de la vielle n'aurait pas été durable surtout dans un siècle où l'on veut que tous les instruments puissent servir à quelque chose dans un concert. Le Sieur Bâton, luthier à Versailles, fut le premier qui travailla à perfectionner la vielle. Il avait chez lui plusieurs anciennes guitares dont on ne se servait plus depuis longtemps.  Il imagina en l'année 1716 d'en faire des vielles ; et cette invention lui réussit avec un si grand succès que l'on ne voulut plus avoir que des vielles montées sur des corps de guitares, et ces sortes de vielles ont effectivement un son plus fort et en même temps plus doux que celui des vielles anciennes » 1 .’

Encouragé par le succès qu'il obtient, Bâton redouble son initiative. Ecoutons encore Terrasson :

‘« Le sieur Bâton imagina que puisque les vielles montées sur des corps de guitare avaient eu tant de réussite, cet instrument prendrait encore des sons plus moelleux en le montant sur des corps de luths et de théorbes. Il exécuta donc cette nouvelle idée en l'année 1720, et les vielles en luth eurent encore un plus grand succès que les autres. Ce fut alors que la vielle commença à faire face aux autres instruments et à être admise dans des concerts » 2 .’

Si les deux dates citées par Terrasson (1716 et 1720) sont exactes 1 , il faudrait considérer que la mode de la vielle a débuté dès les premières années du règne de Louis XV (à l'époque de la Régence). Le répertoire spécifique est cependant plus tardif. Robert Green 2 , qui en a fait le recensement systématique, date de 1733 seulement le développement spectaculaire des publications musicales écrites pour vielle ou citant la vielle comme un des instruments principaux utilisables (souvent avec la musette).

Ce constat est intéressant, il conforterait l'hypothèse selon laquelle il y aurait plusieurs répertoires pour vielle se succédant dans le temps. Un premier répertoire encore rustique mais pas encore champêtre peut ne pas donner lieu à publications, et se transmettre par voie orale ou par l'intermédiaire de recueils manuscrits d'airs ou de danses ; il ne présenterait pas de difficultés majeures d'exécution et tolérerait certains défauts propres à l'instrument. Le répertoire écrit, qui comporte des œuvres de musique champêtre et de musique émancipée, est d'apparition plus récente. C'est ce répertoire plus savant que Terrasson désigne comme étant joué en concert.

Rappelons enfin ce que nous indiquions en début de ce travail 3 , à savoir que, contrairement à ce que la légende nous dit, il n'y eut jamais chez les luthiers ni destruction massive ni génocide de luths, théorbes ou guitares. L'imaginaire s'est emparé d'un événement moins violent pour lui donner une importance disproportionnée. Bâton et les luthiers baroques ont très peu utilisé les théorbes, luths et guitares pour les transformer en vielle. Ils ont seulement repris la forme générale des luths et des guitares pour les modifier, les transformer afin qu'ils deviennent corps de vielle. Par exemple, la vielle en forme de guitare a généralement des éclisses plus hautes et une table d'harmonie plus bombée que ce que l'on peut observer sur une guitare baroque.

Notes
3.

.TERRASSON, Antoine, Dissertation historique sur la vielle. Où l'on examine l'origine et les progrès de cet instrument, Paris,1741, p.94.

1.

Ibid, p.96/97.

2.

Ibid, p.98.

1.

Ce que vérifiela prise en compte de la datation des tableaux de Watteau représentant une vielle.

2.

.GREEN, Robert, A, “Eighteenth-century French chamber music for vielle”, Early music, vol.XV, n°4, nov.1987, p.470 et p.473.

3.

Voir chapitre 6, section 6.2.4 : Un monstre destructeur.