11.1.3. Lutherie comparée et effets sonores.

La différence entre la vielle dite trapézoïdale (n° 4 de S. Palmer 1 ) d'une part et les vielles en guitare (n°12c de S. Palmer 2 ) ou en luth (n°20 de S. Palmer 3 ) d'autre part, n'est pas seulement affaire de dates, ni même question de forme.

Concernant la facture de l'instrument, Thomas Norwood 4 nous a donné, oralement, les informations suivantes :

Les vielles trapézoïdales sont probablement fabriquées par des artisans menuisiers ou ébénistes qui se spécialisent dans la facture de ce type d'instrument et ne construisent pas d'autres instruments de musique. Les vielles en guitare ou en luth sont, en revanche, l'œuvre de luthiers généralistes ayant un atelier produisant toutes sortes d'instruments différents et dont la formation technique peut être très poussée.

Les vielles trapézoïdales sont construites avec du bois épais, beaucoup plus épais que celui utilisé pour fabriquer les vielles en guitare ou en luth. Les éclisses de ces dernières peuvent avoir 2 ou 2,5mm d’épaisseur, celles des vielles trapézoïdales jusqu'à 6mm. La table d'harmonie aurait toujours plus de 3mm d'épaisseur sur une vielle trapézoïdale, 3 mm ou même moins pour une vielle en guitare ou en luth.

Le bois choisi pour fabriquer la table d'harmonie n'est pas identique. Fait unique parmi les instruments de musique, il est le plus fréquemment en acajou en ce qui concerne les vielles en luth ou guitare alors qu'il est fabriqué dans un autre bois trouvé localement (souvent du sycomore) pour ce qui est des vielles trapézoïdales ; le même bois est alors utilisé pour composer toutes les parties principales de l'instrument.

L’acajou utilisé, précise Thomas Norwood, provient très généralement de Cuba. Il s’agit d’un bois dense et sonore. Selon Norwood, il est préféré à l’épicéa pour des raisons qui tiennent à l’effet-bourdon. L’épicéa résonne encore plus longtemps que l’acajou et il ne permettrait pas un contrôle suffisant du volume du son continu des bourdons amplifié par la table d’harmonie.

Ces deux factures très différentes vont naturellement produire deux types d'instruments ne sonnant pas de la même manière. La vielle de forme trapézoïdale sonne faiblement, dans une ambiance un peu lourde ou ralentie qui n'est pas sans charme. Les vielles en guitare ou en luth sont plus puissantes, plus brillantes et riches en harmoniques. Elles réagissent au toucher avec un très faible temps de latence.

On a aussi, mais de façon peut-être moins probante, cherché à différencier les caractéristiques sonores des vielles en guitare et des vielles en luth. Ainsi Boüin 1 écrit-il : « Celles qui sont faites en corps de luth ont plus d'harmonie et rendent plus de son. Celles, au contraire qui sont faites en corps de guitare ont moins d'harmonie et rendent moins de son. Cependant, elles ont leur mérite particulier, en ce qu'elles sont plus douces et moins bruyantes que les vielles en corps de luth et que pour la chambre elles sont plus gracieuses ». Un autre auteur 2 s'exprime dans un sens voisin : « Il y a des vielles faites en corps de luth et d'autres en corps de guitare ; les premières ont plus de force, les secondes ont plus de douceur ».

Notes
1.

PALMER, op. cit. p.24,

2.

PALMER, op. cit. p.27.

3.

PALMER, op. cit. p.30.

4.

Thomas Norwood, luthier spécialisé dans les vielles baroques a construit des instruments qui correspondent aux trois modèles que nous discutons. De par sa profession, il a eu entre les mains, souvent pour les restaurer, un nombre considérable de vielles baroques qu'il a soigneusement étudiées. Qu'il soit ici remercié pour avoir mis à notre disposition les informations dont il disposait.

1.

BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sure pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761, p.13.

2.

ANONYME, Airs pour la vielle avec les principes généraux, BNF, Cons. Rés. 1177.