CHAPITRE 12 : LE GOUT, LA REGLE ET LA ROUE

12.1. La roue/archet

12.1.1. L'importance de la roue

Cet instrument à cordes qu'est la vielle s'est donc choisi comme archet une roue en bois mise en mouvement par une manivelle maniée par la main droite. Cela pourrait être considéré comme un défaut majeur de l'instrument. En effet, toute variation des conditions hygrométriques entraîne une modification de l'appui des cordes sur la roue qui peuvent alors ne plus sonner ou produire un grincement sur certaines notes, ce qui rend nécessaire un « bricolage » modifiant la portée sur la roue 1 . D'autre part, en cours d'exécution, l'interprète ne saurait faire varier cet appui sur la roue qui restera identique, interdisant certaines nuances.

Or on constate que l'existence de la roue/archet est considérée, à l'époque du baroque tardif, comme une des caractéristiques les plus intéressantes de l'instrument, peut-être la plus intéressante. « C'est elle qui donne l'âme à cet instrument » signale Dupuits 2 et Boüin 3 reprendra à son compte, quelques années plus tard, la même idée et avec les mêmes mots.

L'époque va du reste s'enticher de la roue en musique. Le 28 septembre 1753, le duc de Luynes cite l'invention d'une sorte de vielle/clavecin : il s'agit d'un instrument composite à roue qui permet que « l'on évite l'inconvénient des clavecins ordinaires qui est de rendre les sons sèchement, sans pouvoir ni les enfler, ni les diminuer, ni les tenir » 1 .

Flagel 2 mentionne l'invention par François Cuisinié d'un instrument ayant une roue (qui frotte cinq cordes dont deux chanterelles) nommé Orphéon, présenté en 1734 à l'Académie des Sciences et que le rapporteur juge « commode, d'une harmonie plus agréable, avec plus d'étendue et de variété que la vielle ordinaire ». Le Musée instrumental de Paris possède, nous dit encore Flagel, « une jolie miniature en forme de livres accolés qui, à une corde près, correspond à la description de Cuisinié quant au principe ». Un instrument voisin se trouve reproduit dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert 3 . Le musée de Bruxelles contient un instrument composite possédant des roues et un clavier proche de celui du clavecin.

Nous allons montrer qu'il y a deux façons de jouer de la roue, ce qui permet d'une part de distinguer les règles et le goût et d'autre part de délimiter deux répertoires théoriques.

Notes
1.

Un facteur de vielle contemporain, Jean Luc Bleton, met au point un dispositif qui permet de faire varier l'appui des cordes sur la roue.

2.

DUPUITS, Baptiste, principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p.IV.

3.

BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sure pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761, p.16.

1.

DUFOURCQ, Norbert, La musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV d'après les mémoires de Sourches et de Luynes (1681-1758), Paris, Picard, 1970, p.161/162.

2.

FLAGEL, Claude, « La vielle Parisienne sous Louis XV : un modèle pour deux siècles », Instrumentistes et luthiers Parisiens, (sous la direction de Florence GETREAU), Paris, Délégation à l'action artistique, 1988, p.4/5.

3.

DIDEROT, Denis, et d'ALEMBERT, Jean, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts techniques, « Lutherie », Seconde suite, planche IV.