12.2.1.3. Les commentaires sur le goût.

« Ce n'est que le goût qui décide des coups de poignet…surtout dans les pièces lentes, graves, gracieuses, où les règles cessent d'avoir lieu, les pièces cessant d'avoir un certain mouvement où le coup de poignet est indispensable » (P. VII).

Dupuits indique clairement que le goût « décide des coups de poignet ». Les règles sont soumises à un pouvoir supérieur : le goût.

Mais ce pouvoir du goût ne s'exerce pas de façon identique sur tout le répertoire. S’amorce une division des pièces musicales en deux catégories. Après avoir expliqué dans les détails les règles du coup de poignet applicables aux pièces de mouvement, Dupuits nous apprend que les pièces lentes et gracieuses donnent à l'interprète la liberté de transgresser ces règles au nom de cette valeur d'essence supérieure qu'est le goût. Ainsi, « pour les Musettes, il n'y a point de coups de poignet déterminé, on tourne la roue également, tantôt un peu plus fort, tantôt plus doux suivant que le caractère de la pièce l'exige » (P. VII).

Ces indications concernant la musique sont liées à des considérations portant sur les musiciens que le Dupuits pédagogue nous livre alors :

‘« Souvent, ce n'est pas le goût qui nous manque pour exécuter une pièce dans son vrai, ce sont des dispositions nécessaires qui nous manquent dans certaines parties qui ne doivent pas, [pour cette raison] nous priver de jouer d'un instrument. Or comme il y a plusieurs façons de faire la même chose, c'est pour cela que les exceptions sont faites : il importe peu que l'on se soit un peu écarté de la règle lorsqu'elle nous est impossible, pourvu qu'on rende une pièce aussi sensible et aussi parfaitement que si on l'avait suivie » (P. VII).’

On songe aux élèves de Dupuits ; s'ils sont peu doués, si la pratique des règles techniques leur est trop difficile, ils n'ont pas à renoncer. Jouer selon le goût, en usant des règles avec une certaine désinvolture (dans la mesure où on n'arrive pas parfaitement à les intégrer au jeu de l'instrument), n'interdit pas d'exécuter un morceau avec toute la sensibilité désirable et avec ce degré de perfection que le virtuose obtiendrait par d'autres moyens.

Et Dupuits ajoute :

‘« D'ailleurs les pièces ne sont pas toujours écrites à leurs avantages et il est heureux pour l'auteur lorsqu'elles se trouvent exécutées, dans leurs caractères, par des personnes dont le goût délicat saisit ce point de perfection qui rend peu de pièces défectueuses ».’

On voit que le goût de l'interprète est susceptible de transformer une partition et de donner du talent à ce qui en a peu.

Le dernier point par lequel Dupuits termine ce long paragraphe sur le Goût est d'importance :

‘« Il ne faut pas sur ce principe [que le goût délicat rend peu de pièces défectueuses], s'écarter des règles ni régler toutes les pièces selon notre goût. Il arriverait souvent qu'en croyant orner une pièce ou la mieux exprimer, on la priverait de ce qui lui serait le plus avantageux étant contraire à notre inclination naturelle. Pour avoir le goût sûr et décidé, il faut être capable de trouver en soi et de sentir toutes sortes de caractères : si cette partie de disposition manque, il est inutile d'entreprendre de jouer d'aucun instrument… ».’

Dupuits semble ne pas vouloir que son argumentaire passe seulement pour une façon habile (nous dirions démagogique) de s'attirer la clientèle de débutants ou d'aristocrates peu doués…Sa mise au point est claire. Le goût n'est pas une notion « mondaine » que l'on introduit pour masquer une incompétence technique et une incapacité à jouer selon les règles. Le goût est une qualité personnelle qui n'est pas également partagée, que certains ont et d'autres pas ; le jeu selon le goût traduirait, pour parler comme Rousseau, le génie de l'individu. Ne point avoir de goût (ou ne point avoir un goût sûr et décidé) interdirait à une pratique musicale d'avoir une valeur quelconque.