12.5. Reprise du thème

Ces considérations sur le jeu de la roue et le goût sont à mettre en parallèle avec les considérations sur le goût au sens générique et au sens particulier que nous avons développées pour distinguer musique arcadienne et musique émancipée 2 .

On observe alors que le primat du goût (au sens générique) est clairement affirmé dans nos deux corpus. Comme référence ultime, il gère les différents types de musique, nous n’y reviendrons pas.

En revanche, ce dont traite le goût (au sens spécifique) n’est pas exactement de même nature dans nos deux sous-ensembles.

-Les règles techniques propres à la vielle, se déclinent à partir de la division du tour de roue en parties régulières, égales ou inégales comme à partir du coup de poignet. On note alors que la prédominance des règles est attachée à l'exécution des airs rapides, vifs et brillants.

En regard, considérant la musique baroque française, nous montrons 1 que la prédominance des règles est une des caractéristiques de la musique émancipée, dont le brillant est un attribut majeur, ainsi que l'interprétation virtuose. Mais ce type musical n'est pas que cela et, par ailleurs, la musique arcadienne n'exclut pas les airs vifs. Le recouvrement entre les deux champs n'est donc que partiel.

-D’autre part, quand on parle de vielle, il est fait appel au goût (au sens spécifique) au titre de système gestionnaire des airs lents et tendres, à partir d'un style de jeu reposant sur des variations dans la vitesse du tour de roue (dynamique et enflement du son) comme sur un travail des agréments, ainsi que nous le verrons ultérieurement.

En regard, nous notons que, dans la généralité de la musique française, le goût (au sens spécifique) a le primat dans la musique arcadienne, qui n'est pourtant pas exclusivement constituée d'airs tendres ou lents 2 .

Ce recouvrement seulement partiel, cette relative distorsion entre la musique baroque française en général et ce qui nous semble apparaître quand on observe de façon précise ce qu'écrivent les maîtres de vielle, s'explique par une série de facteurs hétérogènes tenant aux spécificités des deux corpus mis en vis-à-vis, les méthodes pour vielle d'une part (pour ce qui est de ce chapitre 12), les écrits sur la musique d'autre part (pour ce qui est des chapitres 2 et 3). Les auteurs de méthodes pour vielle poursuivent des objectifs précis qui les obligent à soumettre les textes qu'ils proposent à des impératifs divers.

-I- On peut penser que des auteurs de traités ou de manuels ne se soucient pas de prendre position dans les querelles de l'époque, Ramistes contre Lullistes, Querelle des Bouffons, Rousseau contre Rameau…Raisons pédagogiques obligent, nos auteurs chercheraient seulement l'efficacité dans un apprentissage fondamental.

-II- Ces traités ne sont pas « de musique » ou d’esthétique musicale, il s’agit de méthodes consacrées à un instrument de musique, donc comportant une part technique obligée, correspondant à l’acquisition des « règles du métier ».

-III - Et la vielle n’est pas n'importe quel instrument de musique ! Quand on présente des instruments nobles et reconnus, on s'intéresse, comme pour la voix, à la technique mise au service des choix esthétiques. Ainsi, pour le violon, voit on discuter les différences entre un jeu à l'italienne et un jeu à la française.

La vielle à roue n'est pas totalement disponible pour ce type de préoccupations. Il est en effet surtout question pour elle de vie ou de mort. Les échanges la concernant, que nous avons souvent cités tiennent soit de l'hagiographie, soit de l'attaque sans nuances. En vérité, les discussions passionnées portent toujours sur le même sujet : faut-il donner à la vielle à roue droit à la vie, ce qui veut dire la reconnaître comme instrument de musique convenable et estimable ? Faut-il la condamner à mort, décréter qu'elle n'est pas instrument de musique mais seulement ustensile de mendicité pour une population de gueux aveugles ?

On peut concevoir que nos auteurs de traités aient voulu avant tout faire la preuve que la vielle a droit à l'existence, qu'elle est un instrument de musique comme un autre, ouvert à tous les répertoires sans discrimination. Cette position militante suppose que l'on « ratisse large » pour montrer que la vielle est convient aux différents types de musique.

-IV- La vielle a certaines caractéristiques « anatomiques » particulières, la roue/archet mais aussi, un chevalet mobile susceptible de venir frapper la caisse de résonance 1 . D’où un idiome très spécifique, des contraintes et des limites, mais aussi des possibilités qui ne sont partagées avec aucun autre instrument et qui supposent l’application de règles strictes.

Notes
2.

Voir chapitre 2 : Musique arcadienne, Musique émancipée, et chapitre 3. : Distinguer deux musiques que le goût rassemblera ».

1.

Chapitre 2, section 2.6.3. : La musique émancipée et les règles.

2.

Chapitre 2, section 2.6.2. : Le goût et la musique arcadienne.

1.

Voir chapitre 14. : La trompette de la vielle et l’articulation du poignet.