Nous inspirant du travail de Catherine Homo-Lechner 1 , nous considérerons le son comme une production intentionnelle et fabriquée au service d’un objectif musical. En revanche, le bruit provient d’un univers non musical et intervient alors que son auteur n'a aucune intention musicale et ne le provoque pas délibérément (par exemple un grincement ou un cri…). Gérard Le Vot note chez Hucbald de Saint Amand (fin du IXe siècle) une distinction assez proche « entre le son musical structuré et intelligible par le calcul arithmétique (phtogus) et le son brut assimilable au bruit (sonus indiscretus) » 2 .
Ajoutons que l’univers sonore d’un instrument de musique est composé essentiellement de sons mais aussi, accessoirement de bruits, ces parasites que le musicien « classique » va chercher à éliminer 3 .
En revanche, certains musiciens contemporains réintroduiront volontairement ces « parasites » dans la spécificité idiomatique d’un instrument Dans un mouvement identique, ils pourront aussi volontairement intégrer au paysage musical des éléments sonores venus d’un univers non musical, alors qu’a priori ou selon les critères habituels, ils ne sauraient en faire partie. On appellera bruitage 4 cette technique d’utilisation d’un élément extérieur à la musique que l’on ne pourra plus qualifier simplement de bruit puisque son emploi est devenu intentionnel . Nous verrons plus loin qu’un son ainsi « bruité » peut être qualifié de son sali.
Il va de soi que ces distinctions, et notamment ce terme de « bruitage », ne conviennent que si l'on se situe dans une conception de corpus musical de tradition « classique ».Certaines musiques contemporaines ne considéreront pas qu'un bruit puisse se surajouter au son puisqu'il devient lui-même un son et qu'il est traité comme tel. Nos outils d'analyse s'avéreraient tout à fait inadéquats s'il s'agissait de traiter des expérimentations initiées par les bruitistes-dadaistes, mais aussi de rendre compte de la musique d'un Pierre Schaeffer ou encore des productions punk-rock ou crush.
HOMO-LECHNER, Catherine, Sons et instruments de musique au moyen-âge, Paris, Editions Errance, 1996.
LE VOT, Gérard, « Les timbres instrumentaux dans la musique médiévale », Analyse musicale, 3° trim. 1986, p.64/69, p.64
Un problème un peu analogue se pose au viticulteur. Un ami, qui exerce cette noble profession, m’a expliqué qu’il lui fallait « débarrasser » le vin de certaines originalités quand elles étaient trop marquées ou trop spéciales ce qui aurait rendu son goût « impur » en nuisant à son caractère « gouleyant ». Le viticulteur utilise le terme «pommader » pour désigner cette opération… mais à trop pommader, on détruit l'identité du produit, son caractère « charnel ». Le vin en vient à se boire, et c’est un comble, « comme du petit lait », puisqu’il n’a plus d’aspérité. De même, un luthier pourrait détruire le « grain » de l'instrument, à trop vouloir purifier les sons qu’il produit.
ARNOLD, Denis (Ed), art. « Bruitage », Dictionnaire encyclopédique de la musique, Oxford University Press, 1983, trad. Paris, Robert Laffont, 1988,