13.1.2. Musique harmonieuse et contremusique.

L’intervention dominante d’un bruitage intentionnel, à la place ou aux dépens du son, qualifie la contremusique, expression inventée par Claudie Marcel-Dubois 1 pour désigner des « phénomènes sonores, intentionnellement structurés et assemblés, situés à la frontière des sons musicaux -vocaux et instrumentaux- et des signaux bruyants » 2 . Cette musique est à l’opposé de ce que C. Marcel-Dubois appellera musique harmonieuse, cette « vraie » musique qui, dans les fêtes villageoises, prend la forme d’un style musical « haut en couleurs, (ayant) des timbres instrumentaux parfois perçants ». Dans la contremusique, le bruitage est produit volontairement, mais non à des fins musicales ; il s’agit d’évoquer ou d’invoquer, (par exemple de créer « un monde anormal et démoniaque »), ou de servir de support à une activité non musicale (accompagner la mendicité avec une crécelle ou une vielle, ou encore d’indiquer au chasseur le passage d’un gibier par le bruit d’une corne).

Claudine Marcel-Dubois, à partir de ses observations concernant les cérémonies traditionnelles en France, montre que musique harmonieuse et contremusique sont à la fois opposées et fortement liées entre elles. En effet, elles marquent « deux moments de la cérémonie et en symbolisent l’avers et le revers » 1 , « le pôle et l’antipôle du fait sonore » 2 . En quelque sorte, elles mettent en scène l’affrontement entre le normal, le contrôlé, le joyeux ou le divin (musique harmonieuse) et la transgression de l’interdit, le violent, le déchaînement sans contrôle, le triste ou le satanique (contremusique).

Donnons en deux exemples.  Dans le charivari, un orchestre « composé d’engins sonores, bidons, bassines, par exemple, sera utilisé par les jeunes gens du village pour dénoncer une union matrimoniale jugée abusive (un vieil homme épousant une jeune fille par exemple) et pour marquer la réprobation de la société des jeunes devant cet acte »4. Nous pensons que l’emploi de la contremusique souligne ici la transgression d’un interdit générationnel (symboliquement une confusion des générations) en la réitérant par une production sonore qui transgresse à son tour, mais cette transgression porte alors sur les règles de la musique harmonieuse (de la " vraie " musique). A l’inverse, la musique harmonieuse s’impose dans les fêtes et bals qui marquent les " justes " noces, conformes à la règle sociale, entre deux personnes de la même génération.

A propos des Ténèbres de la Semaine Sainte, C. Marcel-Dubois nous présente une coutume intéressante, observée dans les Pyrénées.

‘« Un ensemble de crécelles ou d’autres appareils bruyants sera mis en action par des garçonnets, dans l’église, à l’heure où, selon la croyance chrétienne, Satan et les Ténèbres sont les maîtres de l’univers ; cette contremusique devient un symbole des puissances démoniaques, du monde du dessous ; elle correspond à un temps de rupture d’équilibre »4. ’

Cette contremusique sera remplacée par la « musique harmonieuse » des chants religieux, lors du dimanche et du lundi de Pâques, lorsque le Christ triomphe. De façon parallèle, lors du charivari, la musique harmonieuse se substitue à la contremusique quand les époux transgresseurs de la norme (qui doivent être, selon le scénario, terrorisés par le charivari), vont se racheter. Pour ce faire, ils « achètent » le pardon du groupe des jeunes en offrant de l’argent permettant à ceux-ci d’organiser un bal pendant lequel la musique harmonieuse, ayant repris le dessus, pourra conduire la danse.

Notes
1.

MARCEL –DUBOIS, Claudie, « Fêtes villageoises et vacarmes cérémoniels ou une musique et son contraire », Les fêtes de la renaissance, Paris, Ed. CNRS, 1975, p.603/615, p.604.

2.

Ibid, p.604.

1.

Ibid, p.606.

2.

Ibid, p.607.