13.2.2.3. La trompette marine.

Ce monocorde de grande taille est joué avec un archet. On a, à partir du seizième siècle, ajouté une deuxième corde mélodique et même « trois cordes plus courtes formant un bourdon sur la fondamentale » 2 . La trompette marine est, de plus, nantie d'un chevalet mobile, ce qui la rapproche de la vielle à roue.

Observons ce chevalet :

‘« Quant au chevalet, il s'ôte aisément de dessus la corde quand on veut, et il n'y a que sa jambe G qui porte fermement sur la table, car l'autre jambe touche légèrement le petit morceau carré de verre, d'ivoire ou de métal que l'on colle sur la table afin que cette jambe fasse de petits frémissements dessus lorsque l'on touche la corde d'un archet ». ’

Ainsi s'exprime Marin Mersenne 1 qui poursuit :

‘« Il faut premièrement remarquer qu'il est fort difficile d'accommoder ce chevalet afin qu'il tremble comme il faut, car pour peu que l'on y manque, son tremblement devient trop fort et désagréable ou trop faible : de sorte que l'on est souvent plusieurs heures à trouver le point de perfection qu'il désire. Secondairement l'on use d'un petit morceau de bois que l'on entre dans une rainure faite sur l'autre chevalet X, lequel est collé sur la table, afin que le dit morceau serve d'un chevalet mobile pour être mu à droite ou à gauche jusqu'à ce que le chevalet Y se rencontre justement à l'endroit où il tremble médiocrement pour contribuer avec le tremblement de la corde à faire le son de la trompette ».’

Pour résumer, le chevalet qui supporte la corde mélodique possède deux « jambes » : l'une est fixe sur la table, l'autre est mobile et frémit quand l'archet frotte la corde mélodique. Ce frémissement « salit » le son en ajoutant une donnée sonore supplémentaire. Pour certains, c’est cet ensemble qui est censé reproduire le son de la trompette : « c'est le tremblement du chevalet qui lui fait imiter le son de la trompette » 2 . Le dispositif est instable et capricieux, les tremblements ou frémissements du chevalet pouvant être trop ou insuffisamment marqués.

En 1742, Jean Baptiste Prin publie un traité portant sur la trompette marine. Il propose de nombreuses transformations dont une modification du mécanisme du chevalet mobile. L'adjonction d'une corde guidon permet un réglage fin du chevalet grâce à une cheville qui tend ou détend la corde guidon.

‘« Du Guidon. J'appelle cette petite corde le guidon parce que c'est elle qui gouverne le chevalet. En la tendant à son juste point elle fait frémir le chevalet et forme les sons de trompette, en la détendant, elle l'assourdit. C'est dans cette situation que j'imite la flûte traversière et que je joue des airs tendres que l'on croirait ne pas convenir à cet instrument et qui y sont cependant très agréables, lorsqu'on est parvenu à un degré d'habitude et de propreté ; j'ai amusé et étonné les personnes de la première condition et autres, connaisseuses et de goût, non seulement avec des morceaux d'exécution, mais en jouant avec délicatesse des brunettes comme l'autre jour Ma Cloris, Assis sur l'herbette etc. » 1 .’

Il écrit ailleurs : « J'ai trouvé le moyen de lui donner [à la trompette marine] la force d'une trompette de bouche, la douceur d'une flûte et l'harmonie d'un clavecin » 2 . Selon notre auteur, on pourrait donc, grâce aux perfectionnements qu'il introduit, interpréter sur la trompette marine presque toutes les formes de musique en imitant des instruments dont les sonorités sont pourtant fort différentes.

Manifestement Prin est très satisfait de son travail, et nous retrouvons, sous sa plume, ce langage débordant de passion, rencontré fréquemment chez ceux qui parlent de la vielle à roue.

On comprend que, pour Prin, le frémissement du chevalet est indispensable et recherché car il permet de transformer les couleurs sonores. Il n'est donc, en aucun cas, un bruit parasite, sa production est tout à fait intentionnelle. A son apogée, il permettrait à la trompette marine de sonner comme une trompette à bouche. Ce même frémissement, lorsqu'il est peu bruyant, ferait surgir des sons proches de ceux que l'on attendrait d'une flûte.

La trompette marine est donc un exemple d'instrument à son sali. Le son produit provient et d'un archet frottant la corde mélodique (musique harmonieuse); et des tapements perpétuels d'une jambe de chevalet sur la table d'harmonie (contremusique). Il existe donc une proximité organologique entre cet instrument et la vielle à roue puisque cette dernière est, elle aussi, nantie d'un chevalet mobile dont nous allons, dans le prochain chapitre, discuter les caractéristiques et la fonction.

Notes
2.

BAYNES, Anthony, article « Trompette marine », Dictionnaire encyclopédique de la musique, Oxford University Press, 1983, trad. Paris, Robert Laffont, 1988.

1.

MERSENNE, Marin, Proposition XII du 4e. livre des instruments, « Expliquer la construction, les parties, la figure de la Trompette Marine et la manière d'en jouer », Harmonie universelle contenant la théorie et la pratique de la musique, 1636, Paris, CNRS, 1986, tome 3, p.217/218.

2.

MERSENNE, Marin, Proposition XII I du 4e livre des instruments « Expliquer les principaux phénomènes de la Trompette Marine et ses propriétés », op. cit. p.220/221.

1.

PRIN, Jean Baptiste, Mémoires sur la trompette marine avec l’art de jouer de cet instrument sans maitre, Lyon, Bibliothèque municipale, ms 133670, 1741, non paginé.

2.

Ibid, non paginé.