13.2.3. Salir le son en France à l'époque baroque.

On sait que les auteurs baroques français pratiquent l'art de représenter, par l'agencement des sons et des rythmes qu'ils inventent pour un instrument déterminé, des scènes de la vie quotidienne, des productions sonores entendues dans la nature, des chants d'animaux…François Couperin, comme nous l’avons précédemment rappelé, utilise fréquemment ce procédé dans son œuvre pour clavecin.

Pour obtenir certains effets particuliers, certains compositeurs vont aller plus loin et utiliser des techniques apparentées à l'emploi de sons salis. Yves Jaffres ¹ , dans son ouvrage sur Corrette, y consacre plusieurs pages et semblerait penser que cet auteur est, en la matière, un précurseur. Il est vrai que l'aspect surprenant et amusant des effets recherchés correspond bien à ce souci d'égayer et de distraire dont Jaffres montre qu'il est tout à fait caractéristique de Corrette compositeur.

-Concernant le clavecin, sur la page de titre des Divertissements pour le clavecin : les échos de Boston et le Combat naval, Michel Corrette indique qu'il faut « frapper toutes les touches d'en bas du plat de la main pour imiter le coup de canon de 24 livres de balle ». Selon Yves Jaffres ² , nous sommes en présence de la première définition du procédé technique qui sera plus tardivement appelé cluster dans la littérature musicale. Mais Jaffres note aussi que cette opération « témoigne d'une volonté d'émouvoir le public par des effets sensoriels et non plus par une savante organisation du matériau ». Dans les termes que nous utilisons, un bruitage intervient qui « salit » l'ensemble sonore (qui, sans lui, relèverait à peu près totalement de la musique harmonieuse), par un élément proche de la contremusique.

-Concernant l'orgue, Michel Corrette écrit notamment Deux offertoires avec tonnerre. Il explique alors : « Le tonnerre se fait en mettant sur la dernière octave des Pédales de Trompettes et Bombardes une planche que le pied baisse à volonté. En finissant, pour imiter la chute du tonnerre, on donne un coup avec le coude sur les dernières touches du Clavier ». Yves Jaffres ¹ commente ce texte en indiquant d'une part que le bruitage des notes de pédales « se superpose à la vivacité du discours » et d'autre part que la pièce se conclut « par un vacarme assourdissant ». Plus encore que dans la pièce pour clavecin que nous venons de citer, on voit donc que Corrette utilise ici un bruitage (bruit intentionnel), hors musique harmonieuse, qui se juxtapose à l'ensemble mélodique pour créer un effet spectaculaire en « salissant » le son habituellement considéré comme « pur » que produit l'orgue. L'objectif recherché est alors d'introduire un élément descriptif ou évocateur d'un phénomène non musical (le tonnerre).

Il n’est donc pas étonnant que certaines interprétations récentes d’œuvres de musique baroque introduisent le son sali, par exemple en donnant à entendre les coups d’archet des instruments à cordes. A cet égard, la version des Quatre Saisons de Vivaldi que propose l’ensemble « Il Giardino Armonico » est tout à fait caractéristique ² .