14.1. A partir de l'évolution historique de l'instrument

14.1.1. Apparition de la trompette.

L'iconographie permet de dater très approximativement l'apparition du « chien » ou chevalet mobile. On peut repérer, sur un certain nombre de tableaux qui reproduisent une vielle avec précision, l'existence de cette cheville qui traverse le cordier et qui ne se justifie que dans la mesure où elle est reliée par un fil à la corde trompette, ce qui permet, venons-nous de dire, de régler avec précision l'appui du chevalet mobile sur la table en le soulevant plus ou moins.

La présence d’une telle cheville témoigne donc de l'existence de ce mécanisme. La plupart des auteurs (voir Marianne Bröcker 1 ou Suzann Palmer 2 ) s'accordent pour penser que le chevalet mobile est une invention du XVe siècle 3 ; on trouve, en effet, dans certains tableaux de l'époque, une indication claire de la cheville traversant le cordier. Par ailleurs, dans Le jardin des plaisirs, (l'enfer), Jérôme Bosch peint une vielle sur laquelle on distingue la corde guidon (le tirant) attachée à la corde trompette. Toutefois Mersenne 4 dans son traité, ne fait aucune mention du chevalet mobile, ni dans les deux schémas de l'instrument qu'il propose, ni dans le texte qui les accompagne. Il faut penser que pendant une longue période et selon les pays ou régions, coexistent des vielles avec et sans chevalet mobile, correspondant à des fonctions et à des répertoires différents.

On peut se demander ce qui a provoqué l'apparition de ce mécanisme particulier lié à la corde trompette. Antoine Terrasson en propose une explication : « Les cordes destinées à faire les accords(les bourdons) devaient nécessairement être attachées chacune sur un petit chevalet ; et, peut-être, un de ces petits chevalets qui ne tenait pas bien et que chaque vibration faisait frapper contre la table, donna-t-il lieu à l'invention de la trompette » 5 .

Autrement dit, en utilisant les concepts et notions analysés dans notre chapitre précédent, nous pouvons dire qu'un bruit parasite (non intentionnel et non fabriqué) qui s'était introduit par hasard, a été retenu volontairement et, dans un deuxième temps, intégré à l'instrument. En raison de cette intentionnalité, nous dirons que ce bruit doit maintenant être considéré comme un son appartenant à la contremusique, et que l'ensemble sonore qu'il forme alors en se combinant avec un son produit par une corde chanterelle (musique harmonieuse) constitue un exemple typique de son sali.

Reste à considérer quelle fonction non musicale pourrait remplir la sonorité de la trompette, puisque, en tant que telle, elle fait partie de la contremusique. Reste aussi à savoir quelle fonction musicale elle occupe dans la production du son sali dont elle n'est qu'un des constituants (celui qui salit), les deux autres étant les chanterelles jouant à l'unisson d'une part et les bourdons d'autre part.

Il est tout à fait possible que la double analogie, dans la désignation et dans le mécanisme, qui existe entre trompette marine et trompette de la vielle explique que le premier de ces deux instruments ait aussi pu donner son nom au mécanisme que nous étudions. On se reportera donc à ce que nous disons de la trompette marine à la fin du précédent chapitre.

Notes
1.

BROCKER, Marianne, Die Drehleier, 2 vol., Bonn, Bad Godesberg, 1977.

2.

PALMER, Suzann, The Hurdy-gurdy, Londres, New Abbot, 1980.

3.

Roland HOLLINGER suppose une apparition du chien beaucoup plus ancienne, auXIIIe ou au début du XIVe siècle, (Les musiques à bourdons : vielles à roue et cornemuses, Paris, La flûte de Pan, 1982, p.32.

4.

MERSENNE, Marin,Proposition X du 4ème livre des instruments « Expliquer la figure, l'accord et l'étendue de la symphonie ou de la vielle que quelques uns appellent lyre », Harmonie universelle contenant la théorie et la pratique de la musique, 1636, Paris, CNRS, 1986, tome 3, p.211/215.

5.

TERRASSON, Antoine, Dissertation historique sur la vielle. Où l'on examine l'origine et les progrès de cet instrument, Paris, 1741, p.5/6.