14.1.3. L'intégration de la trompette

Nous voudrions défendre l'hypothèse selon laquelle l'apparition de la trompette au XIV e et XV e siècle a produit une mutation radicale de la fonction sociale de la vielle comme de son esthétique musicale, compte tenu du fait que persiste, simultanément, la vielle sans chevalet mobile. C'est en effet l'introduction de la trompette et du coup de poignet qui fait de la vielle moyenâgeuse ou de son ancêtre la chifonie, un instrument à haut son (un haut instrument réputé bruyant).

On admettra aisément que l'adjonction du système Trompette/chevalet mobile s'est réalisée sur une période assez longue, par essais et erreurs, rejets, acceptations et tâtonnements.L'instrument ne s'est certainement pas modifié en un jour et diverses tentatives à peu près simultanées ont probablement eu lieu indépendamment, en Europe médiévale et post-médiévale.

Dans le chapitre 5 de notre travail, nous indiquions que la vielle, la lira mendicorum, était un instrument de gueux aveugle exerçant son activité au coin des rues. Les documents sur lesquels nous nous étions alors appuyé, qu'ils soient iconographiques ou écrits, dataient du XVe, du XVIe, et du XVIIe siècle, plus rarement du XIVe siècle. La vielle est là pour assister le mendiant aveugle qui cherche à attirer le badaud et à en obtenir des subsides. Il est évident qu'un bas instrument sonnant doucement ne remplit pas cette fonction d'appel et ne saurait être un outil de travail performant pour un gueux. Nous sommes alors conduit à proposer l'hypothèse que c'est l'avènement du jeu avec trompette qui, en augmentant sa puissance, a permis à la vielle de devenir instrument de mendicité et a donc totalement transformé son esthétique musicale comme son statut social.

On voit la mutation : un bas instrument se transforme en un instrument composite, comprenant un élément à bas son qui relève de la musique harmonieuse et un élément sonore puissant, à haut son, qui relève de la contre musique et exerce une fonction d'appel pour la « clientèle » escomptée par le mendiant.

L'ensemble donne à entendre à l’auditeur des sons salis, qui sont produits de façon déséquilibrée puisque la mélodie est peu audible, étant couverte par les bruits beaucoup plus forts qui proviennent du chevalet mobile et des bourdons. 1

Notes
1.

Nous pensons que se maintiennent simultanément, pendant un certain temps, un instrument à bas son, servant la religion ou le dialogue amoureux, et un instrument à haut son servant les objectifs du mendiant.