14.3.3.2. Le coup de poignet : détaché du poignet et coup de trompette.

Dans toutes les méthodes sur lesquelles nous nous appuyons, l'expression tour de roue est utilisée de façon claire. Dans le chapitre consacré à la roue/archet nous avons indiqué que le tour de roue correspondait à une division en segments de cercle correspondant aux différentes valeurs des notes et variant selon la mesure.

Le coup de poignet, au sens générique, n'est rien d'autre que le tour de roue réalisé de manière relativement discontinue par l'interprète ; ce dernier donne alors des impulsions ou des à-coups à la roue afin d'agir sur le système vibratoire en marquant ou en détachant les notes séparées par les impulsions.

On doit donc dire qu'au sens générique, le coup de poignet est ce qui permet l'articulation, une technique qui s'offre à l'interprète quand il souhaite détacher une note ou les notes d'une phrase musicale.Charles Bâton 2 nous le signale : « on y a attaché l'articulation ». L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert en fait aussi état : « les instruments à vent ont leurs coups de langue, les instruments à archet leurs coups d'archet, la vielle son coup de poignet » 1 . Boüin fait le même parallèle à propos du jeu louré : « Les joueurs d'instruments à vent ne donnent qu'un coup de langue, et les joueurs d'instruments à cordes qu'un coup d'archet, et les vielles qu'un coup de poignet sur la première croche de deux en deux » 2 .

Du reste les différents auteurs de traités tiennent à préciser qu'il ne faut jamais réaliser sur la même note plusieurs attaques du poignet : « Il ne faut pas donner deux coups de poignet pour la valeur d'une même note ; car si, par exemple, on donnait par exemple deux demi-tours au lieu d'un tour, cela ne vaudrait rien parce que cela produirait l'effet de deux noires et non d'une blanche » déclare Boüin 3 . Ce que reprend Corrette : « si on donnait par exemple deux coups sur une blanche, cela exprimerait deux noires » 4 . On peut vérifier par là que ce n'est pas du tout un effet de percussion qui est recherché, mais bien une possibilité d'articuler, en détachant certaines notes.

Le texte de Bâton, dont nous venons de faire état, montre clairement qu'on ne doit pas confondre la nécessité de pouvoir articuler les notes, ce que l'on obtient par le coup de poignet (sens générique) et ce qui n'en serait qu'une procédure particulière (le coup de poignet au sens spécifique), consistant à mettre en mouvement le chevalet mobile pour aboutir à un effet sonore extrêmement original mais fortement contesté par Bâton qui considère, pour le moins, que le détaché ainsi obtenu est « outré ».

Quand ils utilisent l'expression « coup de poignet » au sens spécifique, les auteurs de traités désignent la mise en mouvement du chevalet mobile (et la sonorité particulière qui en résulte), obtenue en scandant de façon très marquée les à-coups portés avec la manivelle. Quand ils utilisent cette expression au sens générique, ils signalent que lorsque l'on veut détacher certaines notes, on peut agir sur le tour de roue, que cela se répercute ou non sur le chevalet mobile. Deux systèmes d'articulation sont donc possibles : des impulsions peu accentuées sur la roue produisent un détaché discret, des à-coups marqués mettent en mouvement chevalet mobile et trompette pour un détaché accentué. L'auteur anonyme du texte manuscrit auquel nous nous référons nous l'indique clairement lorsqu'il s'interroge sur le détaché dans les mouvements très rapides : « C'est une erreur de croire que l'on puisse partager le tour entier de la roue en plus de trois ou quatre coups de trompette [L’expression "coup de trompette" signifiant mise en mouvement du chevalet mobile] et il n'y a que la précision avec laquelle on les coule ou les détache qui puisse faire imaginer qu'il y en passe davantage [donc sans cette mise en mouvement qui est devenu impossible] » 1 . Cette indication permet de comprendre la remarque de Charles Bâton déjà citée : « il ne faut pas se borner aux quatre coups dans le tour de roue, il faut aller plus loin, on peut en faire jusqu'à douze distinctement et en allant encore par delà, on trouve des frémissements qui imitent les coups d'archet les plus fins » 2 . On articule alors grâce au coup de poignet, mais cela n'est possible que si le chevalet mobile n'est pas mis en mouvement.

Nous proposons donc, dans un souci de clarification, une certaine lecture des méthodes pour vielle en réemployant certains termes dans un sens clairement défini.

Nous nommerons coup de poignet une technique utilisée par l'intermédiaire du toucher de la manivelle par la main droite et permettant de détacher les notes par des à coups ou impulsions plus ou moins saccadées. Ce coup de poignet recouvre deux types possibles d'articulation :

1) Rejoignant ici les thèses de Bâton, nous nommerons articulation du poignet ou détaché du poignet (termes que l'on trouveaussi chez Boüin)un effet possible du coup de poignet agissant directement sur les chanterelles (mais aussi sur les bourdons) pour permettre une certaine articulation des notes, comme sil s’agissait de les « délier ». Ce jeu détaché est seulement provoqué par des impulsions peu marquées données à la roue et le chevalet mobile n'est pas activé.

2) Nous nommerons coup de trompette, jeu trompette ou trompette (expression employée à l'époque 3 ) un autre effet possible du coup de poignet agissant sur les chanterelles (intervention directe de la roue/archet), mais provoquant de plus le tapement voulu, contrôlé (et peu sonore puisqu’il s’agit d’articuler) d'un pied du chevalet mobile sur la caisse de résonance. Cette deuxième forme de jeu détaché sera en tout cas utilisée pour des airs vifs et enlevés lorsque l'on veut accentuer le caractère brillant de l'interprétation.

3) Pour mémoire, soulignons, à la suite de Bâton, l'existence d'une autre technique d'articulation qui passe par le doigté dont nous parlerons dans un prochain chapitre.

On pourrait attendre un éclaircissement supplémentaire des commentaires que les différents auteurs consacrent à la Tenue de la manivelle. Mais les positions exprimées ne sont pas unanimes. Certains disent qu'il faut la tenir serrée : « l'on a prétendu, et plusieurs personnes le croient et l'exécutent ainsi, que pour faire les divisions des coups de roue de la vielle, il faut laisser pour ainsi dire, ballotter la manivelle dans la paume de la main, mais mon avis est qu'il faut la tenir ferme, au moyen de quoi l'on s'en rend le maître et on le fait coulé ou piqué, détaché ou marqué, égal ou inégal » 1 . Comme Corrette 2 plus tardivement, Boüin pense qu'il faut tenir la manivelle « entre le pouce et les deux premiers doigts, (ce qui) donne plus de légèreté, plus de force et de grâce à la main », mais il ajoute qu'il « ne faut point trop la serrer afin qu'elle puisse badiner dans les doigts » 3 . A l'inverse, Dupuits insiste sur le fait que les doigts ne doivent pas se « détacher » de la manivelle, « bien que d'habiles gens y ont réussi » 4 .

Ces extraits nous informent peu ; toutefois la citation de l'auteur anonyme que nous venons de relever et qui est assez complète, semble indiquer qu'il faut marquer le tour de roue égal ou inégal, mais sans qu'il soit fait allusion au jeu trompette.

D'autres extraits semblent évoquer le coup de poignet, au sens évoqué par nous, c'est à dire comme une expression recouvrant, de façon non différenciée, jeu de la trompette et articulation du poignet. Citons par exemple Boüin 5 : « C'est la roue qui détermine le caractère d'une pièce, qui en distingue les parties par les différents tours donnés à propos ; ce que l'on appelle coup de poignet. Sans le secours de la roue, la vielle ne saurait ni briller ni se soutenir ». Aucune allusion, même indirecte, à la trompette ne transparaît dans cette phrase. Plus avant, le même auteur parle des notes qu'il faut seulement « détacher du poignet ». De même, Corrette se contentant de dire « qu'il faut nécessairement marquer (certaines notes) du poignet » 1 reste dans l'ambiguïté.

En revanche, Dupuits, dans son chapitre Observation sur la façon de donner le coup de poignet se réfère clairement au jeu de la trompette : « Ce n'est ni le grand mouvement ni la force qui font détacher la trompette, ce n'est que par la vivacité avec laquelle on baisse la roue, en l'arrêtant au même instant, joint au mouvement que le poignet communique aux quatre premiers doigts, qui est appelé coup de poignet… » 2 .

Il précisera dans un autre texte que l'on ne doit pas utiliser abusivement ou systématiquement l'articulation par l'intervention de la corde trompette (qu'il appelle coup de poignet) : « Ne détacher les notes que des doigts et non par des coups de poignet perpétuels, si ce n'est celles qui semblent l'exiger absolument comme les débuts d'une pièce, les commencements et les fins de chaque reprise » 3 . Il existe d'autres manières, plus discrètes, de détacher les notes et l'on voit que Dupuits prend en compte et semble recommander l'utilisation d'un détaché par le doigté.

L'ambiguïté maintenue par les auteurs baroques en ce qui concerne le contenu sémantique à donner à l'expression « coup de poignet » peut être seulement la manifestation d'une grande prudence. Il pourrait s'agir de ménager partisans et adversaires du son de la trompette, en offrant une définition large de l'articulation qui permettra à l'interprète d'y loger ou non, selon son goût, le fameux son/bruit que provoque la mise en mouvement du chevalet.

Cette ambiguïté est aussi explicable à partir de considérations techniques. Les mouvements imposés à la manivelle à l'intérieur de la paume de la main droite ne sont pas essentiellement différents selon que l'on cherche à obtenir une simple articulation du poignet ou un jeu trompette. La sécheresse de l'attaque est seulement plus marquée dans le deuxième cas. Est aussi en cause le réglage du chevalet, c'est à dire la position du pied mobile par rapport à la table d'harmonie.

Notes
2.

BÂTON, op. cit. p.143.

1.

DIDEROT, Denis, et d'ALEMBERT, Jean, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751/1772, art. « Vielle » (non signé).

2.

BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sûre pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761, p.3.

3.

BOÜIN, op. cit. p.17.

4.

CORRETTE, op. cit. p.10.

1.

ANONYME, Airs pour la vielle avec les principes généraux, BNF, Cons. Rés. 1177

2.

BATON, op. cit. p.150/151.

3.

ANONYME, op. cit.

1.

ANONYME, op. cit.

2.

CORRETTE, Michel, La belle vielleuse, Méthode pour apprendre facilement à jouer de la vielle, Paris, 1783.

3.

BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sure pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761, p.13.

4.

DUPUITS, Baptiste, Principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p.1.

5.

BOÜIN, op. cit. p.17.

1.

CORRETTE, op. cit. p.11.

2.

DUPUITS, op. cit. p.IX.

3.

DUPUITS, Baptiste, Avertissement concernant les sonates écrites par l'auteur pour un clavecin et une vielle, Paris, 1741.