14.3.4. Un cas particulier : l’exception imitative.

On sait que l'esthétique baroque donne en France une place importante à des pièces dans lesquelles il faudrait que la musique évoque directement, par « imitation picturale » 1 , l'objet auquel elle est consacrée. Puisque la trompette introduit une couleur sonore originale, elle a dû être utilisée pour « imiter » certains bruits particuliers. C'est ainsi que Robert Green 2 considère que deux sonates de Ravet 3 , spécifiquement écrites pour vielle et intitulées « La Militaire » et « La Marine », présentent des caractéristiques d'écriture appelant en quelque sorte un jeu de la trompette imitant le tambour (des triples-croches en cascades) ou le tonnerre (des rafales de doubles-croches).

On pourrait faire une hypothèse voisine concernant Michel Corrette, dont nous avons précédemment dit 4 qu'il utilise au clavecin comme à l'orgue, un bruitage intentionnel, hors musique harmonieuse, notamment pour évoquer le tonnerre. Ecoutons Jean-Christophe Maillard 5 : « Corrette n'hésite pas à sombrer dans une esthétique voisine du "kitsch" du XIXe siècle, toutes proportions gardées. La musique imitative parvient avec lui dans ses ultimes retranchements : il imite la claudication d'un vieillard (La béquille du père Barnaba), une tempête et une éruption volcanique (Les voyages du Berger Fortuné aux Indes Orientales)… ». Comme Corrette mentionne que ces deux œuvres peuvent être jouées avec une vielle, on peut imaginer qu'une fonction imitative a dû être confiée par certains interprètes, à la corde trompette.

Dans certains cas limites on se trouverait même dans une situation paradoxale : la vielle baroque pourrait « jouer gueux » s'il s'agissait d'une volonté imitative, donc d'un clin d'œil ou d'une interprétation suffisamment distanciée. Une remarque parallèle pourrait être faite concernant le jeu populaire ou paysan.

Dans certaines méthodes consultées, les danses appelées Tambourins sont commentées dans le même sens : « Il suffit simplement d'imiter la baguette du tambourin » nous apprend par exemple Dupuits 1 . Nous défendons l'idée que le jeu de la trompette n'est en rien, à l'époque baroque, assimilable à l'emploi d'une percussion ; mais, au nom d'un style imitatif, on voit se profiler une exception : certes la trompette n'est pas une percussion, mais on peut exceptionnellement, l'utiliser « comme si ».

Notes
1.

Rappelons que l’expression, déjà citée, est de Claude DAUPHIN, La musique au temps des encyclopédistes, Ferney-Voltaire, Centre international d'études du XVIIIe siècle, 2001.

2.

GREEN, Robert, “Eighteenth-century French chamber music for vielle”, Early music, vol.XV, n°4, nov.1987, p.469/479.

3.

RAVET," « La Militaire », « La Marine », Sonates pour la vielle, Paris [c.1737-1742].

4.

Voir chapitre 13, section 13.2.3 : Salir le son en France à l’époque baroque.

5.

MAILLARD, Jean-Christophe, L'esprit pastoral et populaire dans la musique française baroque pour instruments à vent, 1660-1760, Thèse de doctorat de troisième cycle, Université Paris IV, 1987, p.667.

1.

DUPUITS, Baptiste, Principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p. VII.