15.1.2. Le « doigtage » à la vielle à roue 4

Dans les méthodes pour vielle, la référence qui vient immédiatement sous la plume des auteurs est bien le clavecin, généralement cité soit en début comme pour introduire l'ouvrage, soit comme une préface au chapitre consacré au « doigtage », selon l’expression usitée de l’époque.

L'auteur des Airs pour la vielle avec les principes généraux 1 cite le clavecin dès la première ligne de son texte, pour dire que les touches de la vielle sont « disposées comme celles d'un clavecin ». Il précise alors que « la main de laquelle on touche est à peu près posée comme pour toucher le clavecin, excepté qu'elle doit être plus courbée ». Manifestement gêné par l'ampleur du problème que le doigté pose, il écrit plus loin : « pour ce qui regarde le doigté, il est d'un détail plus difficile et un volume pourrait à peine suffire pour en faire l'analyse, attendu qu'il varie suivant les différents traits de chant qui entrent dans les pièces que l'on exécute ». Suivent quelques considérations techniques.

Mais l'auteur dira aussi, ce qui est plus intéressant pour notre propos, que c'est « l'habileté de l'exécutant » dans le doigtage qui détermine les qualités de »vitesse et de brillance » que l'on doit rechercher dans le jeu (pour tenter de faire jeu égal avec le claveciniste, pourrions-nous ajouter dans la perspective où nous nous situons maintenant).

Dans la méthode qu'il édite sous son nom, Ballard dit aussi que « le clavier de la vielle est dans sa manière disposé comme celui d'un clavecin. La main de laquelle on touche est à peu près posée comme pour toucher le clavecin, excepté qu'elle est un peu plus courbée » 2 . L'auteur donnera, par la suite, quelques points de repère utiles à l'interprète.

Dupuits, dans la première phrase de l’introduction qu’il rédige pour introduire sa méthode, indique clairement que c'est l'art du doigté qui fait le bon interprète et que l'élève doit y consacrer tous ses soins :

‘« Tout le monde est persuadé que pour bien toucher d'un instrument, il est nécessaire d'avoir la main bien posée et de bien doigter. Cependant très peu de personnes y font attention, ce qui fait qu'on trouve souvent des difficultés dans l'exécution d'une pièce, ou faute d'avoir pris la peine de bien ranger ses doigts, ou parce qu'on a pris une mauvaise position lorsqu'on l'a appris ou faute d'avoir eu des principes certains ; C'est ce qui m'a déterminé à composer ce traité tant pour la commodité des Maîtres que pour l'utilité des écoliers, quoiqu'il soit très difficile de donner des règles à un art qui semble s'être assujetti et ne devoir ses progrès qu'à l'habitude, il est cependant des choses qu'il faut indispensablement faire les uns comme les autres ce qui constate des principes certains comme je vais démontrer » 1 .’

Dupuits consacre son premier chapitre au doigté et débute son texte par une sorte de déclaration liminaire : « Il est très difficile de donner des règles sûres pour le doigtage qui consiste plus dans la pratique que dans la théorie » 2 . Suit alors une présentation complète des différents problèmes rencontrés, chaque cas étant illustré par un exemple musical.

La question est d'importance : « il est impossible de prétendre à la perfection (du jeu) sans une grande attention pour l'ordre des doigts ; la vielle est un des instruments qui exige le plus d'attention pour le doigtage, lequel, lorsqu'il est observé dans toute sa régularité, la rend capable d'exprimer tout caractère, étant susceptible des agréments et de la délicatesse des instruments les plus parfaits. » 3 C'est dire que le doigté n'est pas affaire d'approximation ; c'est bien la qualité du jeu de la main gauche, dont l'interprète fera preuve, qui fera de la vielle cet instrument parfait et délicat que Dupuits appelle de ses vœux. Rappelons que celui-ci est maître de clavecin 4 . On ne s'étonnera pas de l'importance qu'il accorde au doigté. Il sera, du reste, le seul auteur des méthodes pour vielle à recommander, dans certains cas, l'usage du pouce, transposant pour la vielle une innovation qui a modifié le doigté du clavecin.

Par ailleurs, dans un autre texte 5 , Dupuits propose, afin que la vielle ne soit pas trop sonore par rapport au clavecin, de « ne détacher les notes que des doigts », montrant par-là toute l'importance qu'il accorde au doigtage pour marquer l'opposition entre le lié et le détaché.

Boüin 1 , dans son travail pédagogique, est lui aussi très attentif à cette question du doigté. Après avoir donné quelques principes généraux, il s'efforce de répondre au mieux et de façon très précise à toutes les situations.

Rappelons aussi le texte de Charles Bâton que nous avons analysé dans notre chapitre 14. L'attaque précise et brève d'une note avec le doigt permet de la détacher. Bâton parle alors du coup de doigt, qui serait l'articulation la plus naturelle pour une vielle : « Sur la vielle la première articulation doit partir du doigt, d'autant mieux qu'elle y est souvent suffisante » 2 . Rappelons le commentaire qu'il en donne : « Tout instrument à touches détache de sa nature, et la vielle par conséquent. Or le sautereau qui fend la corde forme un tact bien plus sec et bien plus marqué que ne peuvent faire les doigts sur les cordes du violon ou sur les trous de la flûte. D'où il s'ensuit que sur la vielle la première articulation doit partir du doigt » 3 . Et, plus loin, Bâton ajoute :

‘« Lorsqu'on répète plusieurs fois de suite la même note, soit 4 sol, soit 4 la […], il faut donner autant de coups de doigts qu'il y a de notes pour les détacher ; sur le violon et sur la flûte, on est obligé d'avoir recours aux coups d'archet et aux coups de langue, pour rendre cette même articulation que l'on fait sentir avec le doigt sur la vielle ; ainsi l'articulation se trouve donc au même degré sur ces trois instruments, par le moyen du coup de doigt, du coup de langue et du coup d'archet » 4 .’

Notes
4.

Dans notre ouvrage (FUSTIER, Paul, Pratique de la vielle à roue. Epoque baroque, Béziers, S.M.L, 2002. 2ème édition : Bron, Vielle baroque, 2006), on trouvera (p.13/17) une présentation des principales prescriptions que les auteurs baroques de traités pour vielle recommandent, concernant l'exécution des doigtés.

1.

ANONYME, Airs pour la vielle avec les principes généraux, BNF, Cons. Rés. 1177.

2.

BALLARD, Jean-Baptiste (éd.), Pièces choisies pour la vielle à l'usage des commençants, Paris, Ballard, 1732, p.7.

1.

DUPUITS, Baptiste, Principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p.I.

2.

Ibid, p.II.

3.

Ibid, p.I.

4.

Dans une « annonce » en date du 17 janvier 1753, Dupuits écrit : « Le sieur Dupuits des Bricettes, Maître de musique, élève de Campra et de plusieurs autres grands maîtres, tient à Paris une école publique de composition, de clavecin, d'accompagnement et de vielle ». (cité par JAFFRES Yves, Michel Corrette, sa vie, son œuvre, Thèse de doctorat, Université Lumière-Lyon II, 1989, tome 1, p.144).

5.

Dupuits, Baptiste, Avertissement concernant les sonates écrites par l'auteur pour un clavecin et une vielle, Paris, 1741.

1.

BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sure pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761.

2.

BATON, Charles, « Mémoire pour la vielle en d/la/ré, dans lequel on rend compte des raisons qui ont engagé à la faire », Mercure de France, octobre 1752, p.149.

3.

Ibid, p.149 et 150.

4.

Ibid, p.150.