15.2. La question des agréments

15.2.1. Des remarques de Marin Mersenne.

« Ceux qui ont entendu les vingt-quatre violons du roi avouent qu'ils n'ont jamais rien ouï de plus ravissant ou de plus puissant : de là vient que cet instrument est le plus propre de tous pour faire danser, comme on l'expérimente dans les ballets et partout ailleurs. Or les beautés et les gentillesses que l'on pratique dessus sont en si grand nombre qu'on peut le préférer à tous les autres instruments, car les coups de son archet sont si ravissants que l'on a point de plus grand mécontentement que d'entendre la fin, particulièrement lorsqu'ils sont mêlés des tremblements et des flattements de la main gauche, qui contraignent les auditeurs à confesser que le violon est le roi des instruments » 1 (c'est nous qui soulignons dans le texte).

-Cette citation de Mersenne nous apprend que le « roi des instruments » se doit d'avoir deux qualités complémentaires : être puissant d'une part, être charmant d'autre part. Nous sommes dans un univers sémantique voisin de celui que nous avons retenu en ce qui concerne les qualités que la vielle se devrait de posséder : être brillante d'une part, être tendre d'autre part. Par ailleurs, ce sont les tremblements et les flattements que le violon exécute qui ravissent l'auditeur et font que cet instrument est charmant.

- Rappelons que, précédemment, nous avons voulu mettre en évidence une sorte de communauté de destin entre violon et vielle qui sont, tous deux, instruments de saltimbanques qui « sentent son populaire », et sont fort dévalorisés par les personnes de qualité 1 . Avec un siècle d'écart, ils travaillent tous deux à obtenir leurs quartiers de noblesse, le violon servi par la personnalité exceptionnelle de Lully, la vielle par le bon plaisir de quelques aristocrates de haut rang et grâce à certains virtuoses très connus à l'époque. Le violon réussira à installer dans l'histoire sa mutation, la vielle n'y parviendra que pour une durée de moins d'un demi-siècle, avant de retrouver une place différente en milieu populaire.

Il est intéressant d'interroger aussi Marin Mersenne sur ce qu'il pense de la vielle, en comparaison avec ce qu'il dit de la viole comme du violon :

‘« Mais parce que la main gauche [à la vielle] ne peut faire les gentillesses du manche des Violes sur le clavier de la vielle, elle est privée de plusieurs beautés dont elle serait capable, si l'on pouvait suppléer tous les tremblements et les coups ravissants de l'archet par quelque industrie, que plusieurs ont recherchée en collant un écheveau de crin de cheval ou de soie crue ou filée sur la roue et en faisant des archets mobiles ou immobiles de plusieurs façons, mais l'on n'a pu suppléer les mouvements de la main de ceux qui charment les oreilles par les instruments à manches touchés et non touchés, dont j'ai parlé dans les discours précédents » 2 (c'est nous qui soulignons dans le texte).’

Mersenne ajoute plus loin : « On peut y ajouter [au clavier de la vielle], de petits ressorts pour faire des battements sur les cordes, afin d'imiter les tremblements et les flattements de la main gauche » 1

Il semble que Mersenne caractérise la famille des instruments à cordes ayant un manche (ici la viole, auparavant le violon) par cette possibilité de faire des gentillesses et des coups ravissants. La vielle, instrument à clavier et non à manche, n'en serait, à l'époque, pas capable, ce qui la condamne, sauf modifications techniques complexes, à échouer à trouver sa place dans l'esthétique baroque. C’est, selon nous, à cette impuissance de la vielle que vont s'attaquer, un siècle plus tard, facteurs et maîtres de vielle.

Notes
1.

MERSENNE, Marin, Harmonie universelle contenant la théorie et la pratique de la musique, 1636, Paris, CNRS, 1986, livre IV, p.177. Et pourtant, le même Mersenne déclare ailleurs (proposition V du livre IV e ) que le violon a « trop de rudesse » si on le compare à la viole dont il est un « imitateur ».

1.

Voir chapitre 8, section 8.2.3 : Violon et vielle à roue.

2.

MERSENNE, Marin, op. cit. livre IV, p.214.

1.

Ibid, livre IV, p.214.