Nous allons voir que la prise en considération des agréments occupe une place très importante dans les méthodes pour vielle, quand elles sont suffisamment approfondies. Leur réalisation technique et le doigté qu'il faut utiliser peuvent être soigneusement décrits 2 . Notons toutefois que le flattement (qui est pourtant un agrément essentiel pour cet autre instrument à bourdons qu'est la musette de cour), n'est jamais mentionné en ce qui concerne notre instrument ; cet « oubli » demeure pour nous une curiosité puisqu'il est très possible de réaliser des flattements sur la vielle, en faisant varier rapidement la force de l'appui du doigt sur la touche.
L'auteur anonyme des Airs pour la vielle avec les principes généraux 3 s'intéresse beaucoup aux cadences que l'on appellera aussi tremblements. Il distinguera les cadences appuyées, les cadences en l'air ou coulées, le port de voix et le pincé. Il indique la façon dont les agréments sont notés et dit quelques mots sur la manière de les réaliser à la vielle.
Ballard insiste sur la cadence et son exécution. Contrairement au précédent auteur, il ne distingue pas plusieurs formes de cadences. Plus avant, il précisera qu'il faut « ne pas se piquer de vouloir faire des agréments ni des cadences trop longues » 1 .
Dupuits 2 , consacre un peu plus d'une page, très précise avec exemples à l'appui, aux différents agréments, en faisant appel, quand il convient, à la musique italienne. Il passe en revue la cadence, le pincé, la cadence liée, la cadence appuyée, la double cadence, la cadence fermée, le port de voix, le pincé, le coulé. Il indique aussi comment se notent les différents agréments et comment les interpréter.
Au début de la page suivante, il montre la nécessité de mettre en harmonie le jeu de la main droite (une variation dans la puissance sonore que permet le jeu de la roue) et le jeu de la main gauche (l'action sur les touches pour obtenir les notes à partir desquelles le tremblement se construit). Il dit alors : « Quand on veut faire un port de voix ou quelque autre agrément, il faut enfler la note qui sert à faire l'agrément et non pas celle où il est marqué » 3 .
Dupuits est extrêmement complet. Il reprend souvent pour la vielle, des indications utilisées par les clavecinistes et l'on voit bien que ses préoccupations essentielles concernent le doigté et les agréments. La connaissance et une exécution précise de ceux-ci donneraient à la vielle une qualité musicale lui permettant de se mêler aux autres instruments de dessus de l'univers baroque.
Boüin 4 , le praticien, prend en compte les agréments à deux endroits de son ouvrage. Il énumère et définit « quatre signes principaux d'agréments dans la musique », à savoir, le port de voix, le coulé, le martèlement, le tremblement ou cadence 5 . Plus loin, Boüin reprend longuement la question des agréments, en suivant très fidèlement les indications données par Dupuits, vingt ans auparavant 1 . Ce « copier/coller » explique quelques hésitations entre définitions, que l'on peut trouver à l'intérieur même de la méthode de Boüin.
Une remarque de notre auteur concernant le port de voix mérite d'être relevée. Il faut, à la vielle, jouer la note non écrite, postiche pour parler comme Boüin « d'une manière caressante ou plaintive » 2 . Rappelons que c'est le jeu de la roue, ses variations dans la vitesse de rotation, qui rendront possible une exécution sensible des agréments.
Pour mémoire, citons Bordet 3 , auteur d'une Méthode raisonnée convenant à cinq instruments dont la vielle.Une page intitulée Signes et agréments en musique fait mention de quelques agréments, rapidement définis et illustrés. Il s'agit de la cadence simple, de la double cadence, de la cadence coupée, du port de voix, du coulé, des coulés de deux en deux et des coulés de quatre en quatre.
La présentation de Bordet a l'intérêt ne pas différencier les instruments à qui s'adresse sa méthode et de donner ainsi à la vielle et à la musette une position identique à celle occupée par la flûte traversière, le violon et le pardessus de viole. Par-là, il classe les deux instruments d'origine campagnarde (ou partiellement campagnarde pour la vielle) dans cette famille comprenant tous les instruments de dessus capables d’exécuter la musique de chambre.
Dans son chapitre VII, Corrette 4 se contente de citer et d'illustrer deux agréments : la cadence et le pincé. Mais ce chapitre commence par une phrase particulièrement intéressante pour notre propos :
‘« La cadence ou tremblement est un agrément indispensable sur tous les instruments ainsi que pour la voix. Autrement un air est sans grâce, sans goût et ressemble plutôt à du plain-chant qu'à de la musique »’Or, Corrette, dans ses exemples et dans les pièces qu'il joint à sa méthode, n'utilise, comme signe conventionnel d'agrément, que le « t » du mot trille, qui dans la terminologie française renvoie à la cadence. Voici donc l'agrément fondamental pour Corrette, c'est cet agrément qui est nécessaire à l'expression musicale qu'il oppose à ce plain-chant dont on peut penser qu'il doit pour lui évoquer le « gothique ». Une musique sans cadence (ou sans agrément) est une musique rustique et non champêtre. Pour échapper au Moyen Age ou à une expression grossière, pour baroquiser, il faut d'abord agrémenter, même de manière sommaire.
Le lecteur intéressé trouvera dans notre ouvrage (FUSTIER, Paul., Pratique de la vielle à roue. Epoque baroque, Béziers, S.M.L, 2002. 2ème édition : Bron, Vielle baroque, 2006), une description des techniques de réalisation sur la vielle des principaux agréments baroques, p.25/29.
ANONYME, Airs pour la vielle avec les principes généraux, BNF, Cons. Rés. 1177.
BALLARD, Jean Baptiste (éd), Pièces choisies pour la vielle à l'usage des commençants, Paris, Ballard, 1732, p.8, p.14.
DUPUITS, Baptiste, Principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p.III.
Ibid, p.IV.
BOÜIN, François, La vielleuse habile ou nouvelle méthode courte, très facile et très sure pour apprendre à jouer de la vielle, Paris, 1761.
Ibid, p.4.
Ibid, p.18/19.
Ibid, p.4.
BORDET, Méthode raisonnée. pour apprendre la musique d'une façon plus claire et plus précise à laquelle on joint l'étendue de la Flûte traversière, du Violon, du pardessus de Viole, de la Vielle et de la Musette, Paris, 1755, p.5.
CORRETTE, Michel, La belle vielleuse, Méthode pour apprendre facilement à jouer de la vielle, Paris, 1783, p.8.