On peut repérer sur une vielle le nombre de chanterelles dont elle dispose en comptant le nombre de chevilles ou le nombre d'encoches sur le sillet mobile correspondant aux chanterelles. Il apparaît que la vielle qui précède l'époque baroque comporte deux ou trois chanterelles. Ainsi, les gueux peints par Georges de La Tour jouent-ils des vielles sur lesquelles on distingue fréquemment des indices de la présence de trois chanterelles.
Dans le texte qu'il publie en 1741, Antoine Terrasson 1 peut écrire :
‘« Au commencement du XVIIIe siècle, la vielle était encore telle qu'elle avait été sur la fin du siècle précédent…Dans le clavier (qui était d'un tiers plus large que les claviers d'à présent) il y avait trois cordes dont deux étaient les chanterelles semblables à celle dont nous nous servons ; la troisième était beaucoup plus grosse, on la nommait Voix Humaine et (pourvu qu'on l'entendit de fort loin), elle imitait un peu la Voix Humaine d'un jeu d'orgue. Mais de près, elle n'était pas supportable ».’Les airs étaient probablement joués en utilisant deux chants simultanés à l'octave. Ainsi réalisait-on un chant Antiphone, selon la définition que donne Aristote lorsqu’il cherche à savoir pourquoi il est plus agréable d’entendre un chant à l’octave qu’un chant à l'unisson, se demandant alors si la raison en est seulement « qu'il se produit par la réunion de voix d'enfants et de voix d'hommes… ».
Dans l'orgue italien, la Vox Humana est un jeu constitué par des ensembles de deux tuyaux sonnant à l'octave, mais légèrement désaccordés l'un par rapport à l'autre pour produire de légers battements évoquant la voix humaine. Nous supposerons que, si cet accord à l'octave devient, pour parler comme Terrasson, insupportable à l'oreille quand on l'écoute de près, c'est parce qu'il est faux ou que les battements sont trop rapides ou qu'ils ont une fréquence différente selon les notes. La vielle pré-baroque est fréquemment un instrument sommaire ou rustique et que sa justesse soit approximative n'a rien d'étonnant.
A l'époque baroque, puisque la vielle est considérée comme un instrument de dessus, on n'utilise plus que deux chanterelles donnant un sol3 à vide et jouées à l'unisson. Tous les auteurs de méthodes nous l'indiquent, ainsi que le répertoire spécifique toujours écrit en tonalité de Do ou de Sol. Toutefois, une ambiguïté est relevée par Claude Flagel 1 en ce qui concerne la méthode éditée par Ballard en 1732, méthode qui est la plus ancienne de toutes celles que nous avons consultées et qui est écrite à une période où, comme le dit Flagel, « l'instrument n'est pas encore complètement codifié ». On peut y lire, concernant les chanterelles, qu'il faut « les accorder à l'unisson, et le son qu'elles produisent, soit qu'elles soient montées hautes ou basses, est toujours un sol » 2 . Cela « laisse à penser à un accord possible des deux cordes à une octave d'intervalle » nous dit Flagel, à moins que l'on ne considère que les deux chanterelles aient pu être montées à l'unisson, mais à une octave en dessous, hypothèse que la phrase de Ballard rend possible, mais qu'une étude du répertoire rend très improbable 3 .
Un peu auparavant, en 1710, Courbois 1 publie un Don Quichotte. Cette œuvre, qui est écrite avant que la vielle ne se soit réellement imposée dans les milieux aristocratiques, nécessite, dans certains airs, la participation obligée d'une vielle, à moins qu’il ne s’agisse de demander au violon d’imiter celle-ci. Elle doit, comme l'indique Green 2 , posséder des chanterelles accordées en Ré etdes bourdons en Sol. Il s'agit d'une des rares partitions connues supposant ce réglage.
Toutefois, au chapitre des exceptions et des innovations, rappelons que, dans son texte de 1752 3 , Charles Bâton propose aux amateurs une nouvelle vielle en d/la/ré avec deux chanterelles qui, à vide, sonnent en ré. Il s'agit pour cet auteur de rendre l'instrument plus brillant qu'il ne l'est quand il joue en tonalité de Do. Il ne semble pas que cette nouvelle offre ait beaucoup influencé les compositeurs pour vielle qui continuent à écrire des pièces en Do et très rarement en Ré (en revanche, ilsécrivent aussi en Sol, tonalité utilisée sur les vielles baroques habituelles, mais aussi sur la vielle décrite par Bâton).
TERRASSON, Antoine, Dissertation historique sur la vielle. Où l'on examine l'origine et les progrès de cet instrument, Paris, 1741, p.94/95.
FLAGEL, Claude, « La vielle Parisienne sous Louis XV : un modèle pour deux siècles, » Instrumentistes et luthiers Parisiens, XVII e et XVIII e siècle, (sous la direction de Florence GETREAU), Paris, Délégation à l'action artistique, 1988, p.7.
BALLARD, Jean Baptiste (éd.), Pièces choisies pour la vielle à l'usage des commençants, Paris, Ballard, 1732, p.3. La méthode de Boüin, pourtant éditée bien plus tardivement, en 1761, reprend à l'identique (p.14) la phrase de Ballard.
En effet les instruments cités comme pouvant exécuter les parties de dessus mêlent souvent de façon indifférenciée musette, vielle, flûte traversière ou violon. Ailleurs la vielle sera désignée comme première voix et le violon comme deuxième dessus. Dans tous les cas, la vielle ne saurait sonner une octave en dessous des autres dessus.
COURBOIS, Philippe, Dom Quichotte, Cantates françoises à I et II voix, VIIe Cantate à voix seule et un violon, Paris, 1710.
GREEN, Robert A., The hurdy-gurdy in eighteenth century France, Indianapolis, Publications of the Early Music Institute, 1995, p.85.
BATON, Charles, « Mémoire pour la vielle en d/la/ré, dans lequel on rend compte des raisons qui ont engagé à la faire », Mercure de France, octobre 1752, p.143/157.