16.1.2. La question de la sonorité

A notre connaissance aucun auteur baroque ne fait état de la possibilité, pour l'interprète, de mettre en mouvement soit une soit deux chanterelles. Il semble aller de soi que les deux doivent jouer ensemble à l'unisson.

Pourtant, il ne s'agit pas seulement de volume sonore. La couleur sonore de l'instrument, l'atmosphère musicale qui s'en dégage sont très différentes selon que l'on utilise une ou deux chanterelles. Les deux chanterelles jouées ensemble résistent à la pression que les deux « sautereaux » exercent sur elles, lorsque la touche correspondante est poussée. Dès lors, l'attaque du son est sèche, nette, rapide et sans ambiguïté. Cela convient aux danses, aux airs rapides et décidés qu'il importe de jouer de façon brillante et délurée. En revanche, quand on joue en utilisant une seule chanterelle, le sautereau rencontre, en touchant la corde, une plus faible résistance et « s’enfonce » quelque peu dans celle-ci, l'allongeant en quelque sorte, donc modifiant la tension. Le son est moins clair, plus ambigu, l'attaque est moins nette, plus retenue et s'accompagne d'un léger flottement. L'atmosphère est « brumeuse », intime, un peu floue et hésitante. A notre goût, ce jeu convient aux airs tendres, aux musettes et autres brunettes ; peut-être se rapproche-t-il alors un peu du jeu de la viole, alors que le jeu avec deux chanterelles serait plus proche de celui du violon…

Que les auteurs baroques ne fassent pas état de cette alternative témoigne probablement d'un souci prioritaire : il faut absolument augmenter le volume sonore de la mélodie par rapport aux bourdons et à la trompette, donc on la donnera à jouer sur deux cordes.

Les critiques portées contre la vielle font en effet fréquemment état d'un déséquilibre dans le volume sonore. La mélodie, jouée sur les chanterelles s'entend peu, elle est couverte par les bourdons et par le son que produit le chevalet mobile mis en mouvement par la corde trompette.

Les adversaires irréductibles de la vielle y voient paradoxalement un avantage ; Campion, sous le pseudonyme de l'abbé Carbasus, considère que les bourdons exercent une fonction de cache-misère, camouflant la pauvreté de la sonorité des chanterelles : « Si l'on dépouille la Vielle de ses bourdons, on entendra un Dessus maigre et déplaisant, quand il sera destitué de la fonction qui cachait ses défauts » 1 .

A l'inverse, les défenseurs de l'instrument se plaindront, comme l'exprime Bâton 2 à propos de la corde trompette et du chevalet mobile, du fait que ce système « absorbe en quelque sorte le son de l'instrument », ce qui est une des raisons qui ont poussé cet auteur à proposer un nouveau modèle de vielle. Dupuits, compositeur particulièrement intéressé par la musique de chambre, écrit dans l'avertissement qu'il joint à un recueil de sonates dans lesquelles le clavecin et la vielle dialoguent à égalité, des propos significatifs lorsqu’il indique que les chanterelles doivent « être plus grosses que la trompette » 3 .

Notes
1.

CARBASUS, Abbé de, Lettre de Monsieur l'abbé Carbasus à Monsieur D°°° auteur du « Temple du goust » sur la mode des instruments de musique, Paris, 1739, 45 p.

2.

BATON, op. cit. p.150.

3.

DUPUITS, Baptiste, Avertissement concernant les sonates écrites par l'auteur pour un clavecin et une vielle, Paris, 1741.