Nous nous proposons de reposer la question d'un répertoire spécifique pour vielle en choisissant une « entrée » différente. Jusqu'à maintenant, nous l'avons défini à partir des pièces musicales pour lesquelles l'auteur (ou le collecteur, ou l'éditeur) cite la vielle comme l'instrument (ou comme un des instruments) avec lequel on doit, (ou l'on peut) jouer le morceau considéré. Mais il existe un autre répertoire, bien plus restreint, où la mention vielle apparaît accolée à une pièce particulière avec une volonté que l'on pourrait appeler imitative 1 , comme si l'auteur indiquait par-là qu'il a recherché un effet vielle, une évocation distinctive de la spécificité de l'instrument. Le compositeur écrit alors « dans le goût de vielle », cette expression étant utilisée par Jean-Philippe Rameau dans Platée pour désigner deux menuets dont nous reparlerons. Il faudrait dire qu'il s'agit pour le compositeur soit de mettre en évidence la couleur sonore de l'instrument, soit de peindre le joueur de vielle en faisant surgir un personnage, qui, dans la tradition, s'est attaché l'instrument, à savoir le gueux qui mendie ou le villageois en fête. La vielle ne serait pas alors au service du morceau musical, c'est ce dernier qui devrait réussir à en faire la peinture. En repérant les caractéristiques particulières de ce répertoire, on pourrait donc mieux comprendre la représentation de l'instrument qu'en ont les auteurs, puisque ceux-ci nous montreraient ce qu'il faut parvenir à réaliser pour « faire vielle ». Aussi sera-t-il intéressant de prendre en considération deux répertoires, d'une part celui qui est écrit spécifiquement pour l'instrument (avec une mention spéciale donnant à entendre qu'il faut jouer à la manière d'une vielle, ce qu'indique généralement le titre), et d'autre part le répertoire formé de ces quelques cas où ce n'est pas en jouant de cet instrument que l'on doit donner une représentation de la vielle ou du vielleux, mais en jouant d'un autre instrument ; on pense alors naturellement au clavecin, au violon ou à la flûte. Nous présenterons alors cinq œuvres baroques voulant évoquer la vielle, signées de Lully, François Couperin, Mouret, Rameau et Dufour.
Le lecteur verra que notre effort de classement des pièces « pour vielle » revêt pour le moins un caractère arbitraire. Nous nous en expliquons en conclusion de ce chapitre ; ce qui compte ce n'est pas le résultat, (c’est à dire le classement en lui-même), c’est, en amont, au moment de l'élaboration, (c’est à dire quand on veut stabiliser le classement), le sens que l'on va donner aux difficultés rencontrées. L'analyse du processus compte plus que le résultat.
Voir notre chapitre 2, section 2.6.5. ; Musique française, musique italienne. Nous empruntons à un travail de Claude Dauphin l'idée d'une imitation « picturale », fortement développée dans la musique baroque française.