20.1.2. La vielle des gueux.

Nous avons montré qu'au XVIIe siècle la vielle est essentiellement un instrument pour gueux aveugles, mendiant au coin des rues. On l'appelle instrument-truand. Lorsqu'il devient, sous Louis XV un des instruments de musique favoris de l'aristocratie et autres « personnes de qualité », c'est au prix d'une décontamination. Il faut débarrasser l'instrument de tout ce qui évoque la gueuserie, de tout ce qui rappelle son origine indigne. Il serait donc malséant d'évoquer ce passé honteux, et nous trouverons peu de pièces qui s'en réclament. Si Lully s’y risque, dans la pièce que nous présenterons plus loin, c'est qu'il écrit à une époque où l'instrument des mendiants n'est pas encore devenu « tabou » ; la vielle demeure seulement objet de curiosité puisqu'elle n'est pas encore captée par l'aristocratie parisienne. Si François Couperin s’inspire aussi de la vielle des gueux, c'est pour des raisons personnelles complexes tenant à l’ambivalence entre deux appartenances difficiles à concilier, avoir des ancêtres ménétriers, mais être devenu musicien du roi et appartenir à la cour 1 .

A notre connaissance, il n'y a pas d'exemple d'air écrit spécifiquement pour vielle et se réclamant explicitement du monde des gueux, du moins à l'époque où l'instrument gagne les faveurs des personnes de qualité (c'est à dire entre 1725 et 1765). Ce n'est pas étonnant ; si l'aristocratie adopte la vielle, c'est après l'avoir débarrassée de ses relents d'instrument-truand. Il ne fait donc pas bon évoquer cette provenance, sauf à fin de polémique si l'on est adversaire déclaré de l'instrument, mais il faudrait alors réussir, comme Couperin quelques années auparavant, à produire du beau avec ce que l'on voudrait tourner en dérision.

Notes
1.

Voir chapitre 8, section 8.3 : François Couperin et l’axe généalogique.