20.1.6. La vielle brillante :« La Vielle », Cantatille avec symphonie par Le Menu de Saint Philibert (p.1/10).

Rappelons qu'il est toujours possible pour un interprète, de transformer une pièce « sautillante » en pièce brillante ; il lui faudra alors la baroquiser. Il devra multiplier les agréments en les différenciant et en choisissant ceux qui supposent une certaine vélocité de la main gauche, il lui faudra aussi accélérer fortement le tempo et montrer ainsi son habileté. Alors le « goût de vielle » changerait de nature et deviendrait une expression du « goût baroque » servi par un instrument nouveau, cette « lyre du Dieu du jour » dont parle Le Menu de Saint Philibert 1 dans son apologie de la vielle en forme de cantatille.

Cette pièce est intéressante dans la mesure où elle semble d'abord écrite pour mettre en évidence les qualités de l'instrument et pour le faire briller. Ce n'est pas l'univers sonore caractéristique d'une vielle réelle que le compositeur veut alors retrouver par imitation, mais le jeu d'une vielle idéale, transformée par le travail des luthiers, des compositeurs et des interprètes, une vielle ayant réussi sa mutation, rivalisant avec le violon pour ce qui est du « brillant » et du « volubile ».

La baroquisation du thème s'effectue essentiellement grâce aux agréments, nombreux, divers, parfois difficiles à placer.

On remarquera à, ce propos, l'utilisation de fusées qui sont très rarement employées dans les œuvres écrites pour vielle 2 et jamais mentionnées par les auteurs des traités alors qu’on peut tout à fait les réaliser en utilisant l’ongle du pouce.

On remarquera à, ce propos, l'utilisation de fusées qui sont très rarement employées dans les œuvres écrites pour vielle 3 et jamais mentionnées par les auteurs des traités alors qu’on peut tout à fait les réaliser en utilisant l’ongle du pouce.

On pourrait l'interpréter classiquement comme un tremblement, et pourtant il voisine dans le texte musical avec le signe habituel (+) qui renvoie le plus souvent au tremblement. Il pourrait alors s'agir d'un flattement, sorte de vibrato que l'on peut rendre à la vielle en modifiant rapidement la pression du doigt sur une touche. Mais ce serait alors un exemple unique dans la musique pour vielle du XVIIIe siècle, dans laquelle il n'est jamais utilisé, pas plus qu'il n'est cité dans les méthodes. En revanche, il est habituellement pratiqué sur d'autres instruments comme la flûte, instrument de remplacement choisi par Le Menu pour sa cantatille, et comme la musette, instrument à bourdons, réputé villageois, souvent associé à la vielle 1 .

Pourtant Le Menu n'a pas cherché à produire une musique réservée aux virtuoses ou même difficile à jouer : le tempo ne semble pas devoir être très rapide (le premier air est même intitulé Air lent) et les intervalles périlleux pour le doigté sont évités, la volubilité est seulement affaire d'agréments.

Notons l'alternance fréquente entre Fort et Doux, l'auteur exploitant ainsi les possibilités d'opposition dynamique de la vielle.

Rappelons pour finir une curiosité 2 . L'œuvre est bien évidemment écrite pour vielle. Prudent, Le Menu indique la flûte comme instrument de remplacement. Or la cantatille commence par une introduction instrumentale que la chanteuse écoute avant de clamer son admiration pour l'instrument (Quels sons brillants se font entendre, c'est la lyre du Dieu du jour...). Dans le cas de figure où la flûte prend la place de la vielle, c'est donc le son de la flûte que la chanteuse entend et interprète comme provenant d'une vielle (La viele charmante rend des sons toujours enchanteurs dira-t-elle en effet plus avant). Faudrait-il donc penser que les idiomes sonores des deux instruments pourraient être confondus ?

Nous transcrivons ci-après la première page de l'édition originale de cette cantatille.

Notes
1.

LE MENU DE SAINT PHILIBERT, La Vielle, Cantatille avec Symphonie, Paris, 1742, p.1/10.

2.

Bâton et Ravet, qui sont tous deux reconnus comme interprètes virtuoses, font exception. Notons aussi que Nicolas Chédeville, dans son adaptation des Quatre Saisons de Vivaldi, respecte l'emploi fréquent et spectaculaire des fusées que ce dernier a inscrites dans la partition ; mais peut-être Chédeville, qui est spécialiste de la musette, pense-t il plus à cet instrument qu'à la vielle lorsqu'il réalise cette transcription.

3.

Bâton et Ravet, qui sont tous deux reconnus comme interprètes virtuoses, font exception. Notons aussi que Nicolas Chédeville, dans son adaptation des Quatre Saisons de Vivaldi, respecte l'emploi fréquent et spectaculaire des fusées que ce dernier a inscrites dans la partition ; mais peut-être Chédeville, qui est spécialiste de la musette, pense-t il plus à cet instrument qu'à la vielle lorsqu'il réalise cette transcription.

1.

On pourra donc trouver l'indication de flattement dans des œuvres écrites pour musette ou vielle quand l'auteur pense d'abord à la musette, comme instrument privilégié. C'est notamment le cas dans les œuvres de la famille Hotteterre/Chédeville.

2.

Nous parlons déjà du texte parlé de cette cantatille au chapitre 4, section 4.5.1. : Une cantatille de Le Menu de Saint philibert.