20.2.2. Couperin, « Les Viéleux et les Gueux », Les fastes de la grande et ancienne Mxnxstrxndxsx .

Nous avons déjà présenté cette œuvre de François Couperin écrite pour clavecin 1 , et dont l'objectif affiché est de tourner en dérision la Ménestrandise en l'assimilant à la gueuserie. Nous disions alors que cette « agression » est probablement un des effets, ou une tentative de résolution, du conflit généalogique de loyauté que François vit entre une filiation qui le renvoie à des ancêtres ménestriers et son identification à l'aristocratie servie par son statut de musicien du roi.

Un des procédés qu'utilise Couperin relève de « l'imitation » : faire sentir à l'auditeur la présence d'un personnage ou d'une situation en l'évoquant concrètement par certains traits joués au clavecin. Par exemple, dans la quatrième partie, l'auteur utilise une cellule rythmique particulière pour figurer la claudication des estropiés. Ou encore, dans la cinquième partie, des déferlements de doubles-croches en série vont montrer la débandade de la troupe dans toutes les directions. Un signifiant (la pièce musicale jouée au clavecin) exprime musicalement un signifié (le bruit de la démarche des boiteux ou la course des fuyards). L'effet obtenu n'est possible que parce que le signifiant (musique) n'est pas de même nature que le signifié (un bruit dans le premier cas, un mouvement dans le deuxième). C'est dans cet écart que vient se loger la représentation ou l'impression que se développe une métaphore, ou encore l'idée qu'il s'agit d'un langage exprimant du réel selon des modalités originales. On admirera l'habilité de l'auteur à nous faire ressentir dans l'écart et avec l'émotion particulière due au langage musical, ce qu'il a entrepris de décrire. Il ne s'agit pas d'une véritable description, mais, pour reprendre l'expression de Pierre Saby, de la mise en place d'un « réseau de correspondances » 2 , créant un langage poétique.

Une forme semblable d'écart serait introduite lorsqu'un instrument de musique est « imité » par un autre, comme une guitare par un violon ou une flûte par un clavecin. Mais alors, il ne s'agit plus d'une imitation (ou de copie d'une réalité), mais d'une tentative pour exprimer, (dans un autre idiome), les caractéristiques spécifiques ou le style de l'instrument qui occupe la place du signifié.

Notes
1.

COUPERIN, François, Les fastes de la grande et ancienne Mxnxstrxndxsx, Second livre de pièces de clavecin,Paris, 1717. Voir notre chapitre 8, section 8.3. : François Couperin et l’axe généalogique.

2.

SABY, Pierre, Vocabulaire de l'opéra, Paris, Minerve, 1999, art. « Imitation », p.80.