21.1. L'illustre Danguy

21.1.1. Les œuvres non publiées de Danguy

Voilà un virtuose qui, contrairement à Ravet et à Bâton, n'a rien édité pour son instrument. Il aurait seulement fait publier en 1769, au titre d’« arrangeur-compositeur », un recueil intitulé « Les plaisirs du jour ou recueil d’airs choisis ajustés pour la vielle ou la musette » 2 . Prenant en compte la place considérable qu'il occupe dans le monde de la vielle au XVIIIe siècle, il nous est apparu intéressant de rechercher les traces de ses pièces non publiées 3 , puisque, si l’on suit Terrasson, il faudrait considérer « qu’il a répandu dans le Public quelques pièces par lesquelles on peut juger qu'il aurait pu composer avec succès pour son instrument, s'il s'était livré à la composition » 4 .

Il enexiste qui sont intégrées dans divers recueils :

En ce qui concerne les recueils imprimés :

- Esprit-Philippe Chédeville (Chédeville l'aîné) présente, en 1737, une « pièce de Mr Danguy » dans son Nouveau recueil de vaudevilles, menuets, contredanses et autres airs choisis, ajustés en duo, pour les musettes et vielles. Cet ouvrage sera réédité par la suite sous le titre de Dixième recueil de vaudevilles, menuets, contredanses et autres airs choisis, ajustés en duo, pour les musettes et vielles.

- Le même air sera par la suite publié par Nicolas Chédeville (Chédeville le cadet) dans son ouvrage La Feste de Cléopâtre. Air des festes grecques et romaines (de Colin de Blamont). Mis en deux parties égales pour les musettes et vielle, ouvrage paru entre 1742 et 1751.

- Toussaint Bordet, dans son Second livre en recueil d'airs en duo, propose, en 1755, le même air sous le titre d'Air en duo de Monsieur Danguy.

2) Trois manuscrits sont plus riches en œuvres de Danguy que les ouvrages imprimés :

- Le livre de vielle de Madame de Vibraye, conservé à la Médiathèque Louis Aragon, au Mans, contient 5 pièces (dont 4 ne se trouvent que dans cet ouvrage). On y trouve aussi le duo de Danguy précédemment cité.

- Le manuscrit MS 2547 de la bibliothèque de l'Arsenal (11 pièces dont 7 ne se trouvent que dans cet ouvrage).

- Le manuscrit Rs 1177 de la Bibliothèque Nationale de France (6 pièces dont 1 ne se trouve que dans cet ouvrage). On y trouve aussi le duo cité plus haut, mais proposé dans une version pour instrument seul.

Au total, l'œuvre de Danguy que nous avons répertoriée comprend donc 17 pièces. Or, il nous faut constater qu'aucun morceau ne nécessite, pour être interprété, l'emploi d'un jeu virtuose.

Deux pièces seulement supposent une compétence assez avancée dans l'art de toucher la vielle. La première se trouve à la page 55 du manuscrit répertorié Ms738 à la Bibliothèque de Nîmes 1 , mais aussi à la page 195 du manuscrit répertorié Rs 1177 à la BNF et à la page 42 du manuscrit répertorié Ms 2547 à la BNF. Nous proposons ci-après cette dernière version, d'écriture plus facile à déchiffrer.

Cette oeuvre est, à notre goût, la plus notable des pièces de Danguy que nous connaissions. La mélodie est intéressante avec des changements de tonalité produisant de légères dissonances. Danguy utilise des batteries et ce qui est décrit comme jeu en accord par Boüin, qui est l'auteur de la seule méthode pour vielle faisant état de cette technique. Elle est ici utilisée de la façon suivante : aux mesures 28 à 31, dans le milieu de la seconde phrase (lignes 7 et 8 du manuscrit), l’interprète joue le motif principal, ré-mi-fa-mi-ré-mi-fa-mi-ré, en valeurs longues (noires), posant chaque note strictement sur le temps (la note est frappée par le petit doigt). A ces valeurs longues, tenues par le petit doigt, viennent se superposer les doubles-croches battues par le majeur. Les signes xxxx portés en dessous de chaque groupe de quatre doublesà la fin de la septième ligne désignent ce jeu en accord. Ainsi, à la septième ligne, l'interprète jouera-t-il avec le petit doigt, un qui restera tenu pendant que le majeur battra quatre si à la sixte, puis un mi bémol (avec le petit doigt) qui restera tenu pendant que le majeur battra quatre do.

Remarquons aussi que Danguy intègre des mib aigus, alors que généralement il ne demande pas à la vielle de dépasser le ré.

La deuxième pièce qui suppose aussi un joueur de bon niveau se trouve dans le manuscrit nîmois coté MS 738 1 . Elle est marquée Gay et intègre accords arpégés et batteries en doubles croches qui « mettent en valeur » l’interprète. En voici un court extrait :

Toutes les autres pièces recueillies sont d’exécution facile ou relativement facile et ne supposent pas grande volubilité de la part de l'interprète, du moins si celui-ci les joue « à la lettre », comme elles sont écrites.

On trouvera ci-après, à titre d'exemple, une de ces pièces simples. Elle se trouve à la page 38 du manuscrit répertorié Rs 1177 à la BNF mais elle existe aussi dans le Livre de vielle de Madame de Vibraye, à la page 41, dans la version que nous avons choisi de reproduire.

On pourrait s'étonner de cette simplicité puisque l'auteur est justement le plus reconnu d'entre les virtuoses de l'instrument, capable de jouer les airs les plus difficiles.

Plusieurs raisons cumulables peuvent être invoquées pour comprendre comment il se fait qu’un excellent interprète comme Danguy ait aussi peu cherché à composer des œuvres mettant en valeur ses qualités de virtuose et donc susceptibles donc de constituer pour lui un apport narcissique non négligeable.

Peut-être Danguy se sait-il compositeur insuffisamment formé et juge-t-il préférable de se montrer modeste dans ses œuvres, ce qui n'est pourtant pas une caractéristique fréquente chez les musiciens de l'époque.

On pourrait aussi prendre en compte la question du collectage : c'est, sans doute, par transmission orale, pour les avoir écoutées, que les collecteurs et auteurs des manuscrits, souvent maîtres de musique, ont recueilli les morceaux qu'ils transcrivent, cet exercice supposant que les airs à mémoriser ne soient pas trop complexes.

Mais il faut de plus, et peut-être essentiellement, considérer que Danguy se montre pédagogue et se doit de proposer des œuvres qui ne rebutent pas, par leurs difficultés, des élèves ou un public d'aristocrates ou de personnes de qualité d'une compétence parfois plutôt médiocre. Nous revenons donc à l'idée que nous développions dans notre précédent chapitre ; on peut considérer que les partitions pour vielle de Danguy sont malléables pour des raisons qui sont aussi sociologiques (la place et la fonction dans la transmission, de l'aristocratie d'une part, des virtuoses d'autre part). Elles conviennent à de médiocres musiciens qui pourront les jouer comme elles sont écrites, elles conviennent aussi à d'excellents interprètes pour qui elles ne seront qu'un canevas, prétexte à toutes formes de baroquisation chatoyante.

A ce propos, la pièce indiquée Gay, dont nous venons de proposer un extrait 1 , et qui convient à un interprète d’un niveau moyen, supposerait un interprète très habile si l’on entendait la jouer Vite.

Notes
2.

Anik Devriès-Lesure en fait état dans son Catalogue des annonces (voir DEVRIES-LESURE, Anik, L’édition musicale dans la presse parisienne au XVIII e siècle, Paris, CNRS EDITIONS, 2005, p. 141).

3.

Pour une présentation plus complète, voir FUSTIER, Paul,« L'illustre Danguy : Pièces pour la vielle manuscrites et imprimées », Béziers,Editions de la société de musicologie de Languedoc, 2004.

4.

TERRASSON, Antoine, Dissertation historique sur la vielle. Où l'on examine l'origine et les progrès de cet instrument, Paris, 1741, p.99.

1.

Il s’agit d’un manuscrit intitulé Recueil/ d’airs choisis de / differents/ autheurs/ transposez pour la viele, Nîmes, Bibliothèque municipale, avec sur la couverture : « A Charles Emanuel Duc d’Uzès ».

1.

Ms 738, p.227

1.

MS 738, BNF, p.227.