Trois œuvres pour vielle sont dédicacées à Danguy ou s'en réclament explicitement. On peut penser que les trois auteurs concernés les ont écrites en pensant à la manière dont Danguy les interprèterait et saurait les mettre en valeur. Il s’agit de trois objets référés à Danguy, significatifs de ce que trois compositeurs aimeraient lui voir jouer.
-En 1741, Baptiste Dupuits publie son Œuvre III, intitulée Sonates pour un Clavecin et une Vièle. Dans l'Avertissement qui les précède, il se livre à des considérations très techniques concernant la manière dont doivent dialoguer les deux instruments cités. Le texte s'achève par cette dernière phrase :
‘« Je suis persuadé qu'en faisant attention aux moyens que je viens de donner, on sera obligé de rendre justice à l'effet de ces deux instruments, lorsqu'ils seront parfaitement unis entre eux, ce n'est qu'après plusieurs épreuves que j'ai faites avec Monsieur Danguy que je hasarde de présenter au public un ouvrage dont je souhaite qu'il goûte la nouveauté » 1 . ’Danguy aurait donc travaillé avec Dupuits et serait en quelque sorte le garant de la qualité de l'œuvre.
Que dire de celle-ci ? Le style est mélangé : témoignent d'une volonté italianisante délibérée, l'appellation Concerto pour désigner chaque œuvre, mais surtout la désignation des mouvements par des expressions italiennes ou italianisées comme Gracioso per lutto, Allegro, Un pocco Allegro, Allegro ma non tropo, Allegro assai, Cantabile, fuga da capella, Spirituoso, Aria, Soave, Solo Amoroso, Canone, Pastorella, Minuetto, mais aussi l'emploi des termes forte/piano pour marquer la dynamique. A l'inverse demeurent quelques termes français comme Rondement, Rondeau, Gavotte, Fanfare, Tambourin, en provenance de la suite française.
Cette œuvre n'est pas très différente des autres ouvrages de Dupuits, qui sont, avons-nous dit 2 , émancipés du style champêtre, souvent d'inspiration italienne, généralement très difficiles à jouer et bien propres à faire admirer la volubilité de l'interprète virtuose 3 , seul capable de les rendre correctement. Du reste, dans sa méthode, Dupuits le dit explicitement : « Je l'ai traité [l'instrument vielle] de façon à le faire paraître dans un nouveau lustre, et à prouver qu'il est susceptible de tout ce qu'on peut imaginer » 4 . Il fallait un « démonstrateur » pour en faire la preuve. C'est bien à cette place que Danguy se trouve convoqué, on peut même se risquer à penser que peu d'autres interprètes étaient capables de maîtriser parfaitement l'œuvre de Dupuits.
-Entre 1737 et 1742, Jacques-Christophe Naudot publie sa XVIIe Œuvre contenant 6 concerto en 4 parties pour les vielles musettes flutes traversières, flutes à bec et hautbois, Violons, et Basse. Le texte musical est précédé d'une dédicace à Danguy dans laquelle l'auteur lui offre « un ouvrage qui [lui] doit le jour » et le remercie pour avoir donné de l'œuvre « une belle exécution » qui « a ravi tous ceux qui [l'] ont entendu » 1 .
Qu'en est-il de l’œuvre ? Il s'agit de 6 Concertos, selon le modèle italien : un mouvement rapide, un mouvement lent, un mouvement rapide, les premiers et troisièmespouvant alterner des parties en solo et des parties indiquées tous.En revanche les différents mouvements sont indiqués dans une terminologie française (Gaiement, Lentement ou Gracieusement, Légèrement). De même, les indications dynamiques sont inscrites en français (fort/doux).
L'exécution des concertos ne nécessite pas un jeu de virtuose. Il s'agit d'une musique assez difficile à interpréter avec une vielle, mais à la portée d'un instrumentiste suffisamment habile. Comme l'œuvre de Dupuits que nous venons de citer, celle de Naudot, tout en sauvegardant certains éléments du goût français, sacrifie au goût italien, avec des allegros rapides, enchaînant les doubles-croches, montantes ou descendantes, ou sous la forme de batteries. Il s'agit d'une musique émancipée, sans allusion significative au style champêtre. Il semble aussi que la spécificité de la vielle soit peu marquée, ces œuvres paraissant convenir à tous les instruments de dessus de l'orchestre baroque. Le fait que la vielle soit désignée en premier dans le titre indiquerait qu'elle a gagné ses « quartiers de noblesse » et qu'elle est digne d'être mise au niveau des autres dessus. Elle le doit à la plume de Naudot d'abord et aux doigts de Danguy ensuite. Ce dernier sert de modèle pour des interprètes d'un bon niveau technique.
-En 1739, Joseph Bodin de Boismortier publie sa 77 e œuvre, contenant six suites pour une Vièle, Musette, Flute ou Violon, Avec la basse. Le livre commence par un véritable poème hagiographique consacré à Danguy 2 . Les six suites qu'il contient relèvent d'une écriture voisine de celle de l'œuvre de Naudot précédemment citée. Le parti pris italianisant est affiché par l'utilisation du terme Sonata au lieu de Sonate et par la désignation des mouvements qui constituent chaque sonata par des termes italiens comme Andante, Allegro, Affettuoso, Largo, Larghetto, Presto, Vivace, Sicigliana, ou italianisés avec une gavotta et une giga.
L'ouvrage est d'abord un peu plus facile que celui de Naudot. Dans les deux cas, il n'est pas nécessaire d'avoir la compétence de Danguy pour parvenir à jouer ces œuvres, ce dernier est seulement un modèle auquel il est possible de s'identifier, quant on est un interprète d’un niveau technique suffisant.
Déjà cité au chapitre 9, section 9.4. : Les virtuoses.
Voir chapitre 19, section 19.2. : La méthode de Dupuits.
Voir, les exemples que nous citons section 19.2.2.1. et section 19.2.2.2.
DUPUITS, Baptiste Principes pour toucher de la vielle avec six sonates pour cet instrument, Paris, 1741, p.11.
Le texte complet de cette dédicace est retranscrit chapitre 9, section 9.4.2. : Les virtuoses sous le règne de Louis XV.
Nous l'avons transcrit au chapitre 9, section 9.4.2. : Les virtuoses sous le règne de Louis XV.