21.4. Conclusion

Nous avons voulu présenter ici la production musicale des trois virtuoses de la vielle les plus connus sous le règne de Louis XV.

Ravet est celui qui écrit les œuvres les plus difficiles à interpréter ; des morceaux supposant une grande virtuosité voisinent avec des pièces d'un abord moins ardu, nécessitant cependant, à l'exception de certaines suitesplus faciles du Livre 1, une excellente technique. On sent que cet auteur veut montrer que la vielle n'est pas du tout un instrument pour musique sommaire, mais pour une musique émancipée, qu'elle saura rendre avec autant de bonheur que les autres instruments de dessus de l'ensemble baroque.

Charles Bâton n'est pas très éloigné de Ravet. Toutefois, il semble d'une part moins sensible aux effets virtuoses et d'autre part plus tolérant vis à vis d'interprètes de moyenne compétence, ce dont témoigne sa Première Oeuvre.

Le cas de Danguy est très particulier puisqu'il n'a pas publié. Trois auteurs (Dupuits, Naudot, Boismortier) le sollicitent dans des préfaces ou dédicaces qui font explicitement appel à sa virtuosité. Les œuvres ainsi introduites ne sont jouables que par des virtuoses (Dupuits) ou par des interprètes d'un très bon niveau technique ; nous sommes dans un cas de figure analogue à celui que nous venons d'évoquer concernant Ravet ou Bâton.

Mais, en ce qui concerne les pièces dont Danguy est l'auteur, telles qu'elles se présentent, (c'est à dire telles qu'elles ont été collectées par les auteurs de recueils ou les maîtres de musique), elles sont généralement très simples à lire. Il semble que cela renforce l'hypothèse que nous développions au chapitre précédent, celle de la malléabilité de la musique portée par l’objet partition. En effet il est très improbable que Danguy ait gagné sa réputation d'être le plus grand parmi tous les joueurs de vielle, en interprétant les pièces qu'il aurait composées telles qu’elles ont pu être ensuite collectées. Le virtuose devait les jouer très différemment, en les baroquisant par l'agrémentation, en variant les articulations, en choisissant parfois un tempo très rapide. Ce qui est parvenu jusqu'à nous, ce ne sont pas les morceaux tels que le virtuose les jouait, mais la matière de base, l'objet malléable auquel, par son art, le virtuose Danguy savait donner une nouvelle forme, champêtre ou émancipée selon le cas.

Ce raisonnement pourrait bien aussi s'appliquer aux pièces les plus faciles d'un Ravet et surtout d'un Bâton, dont on pourrait penser qu'elles étaient jouées telles qu’écrites par un interprète de compétence modeste, alors que la virtuosité de ces deux interprètes-compositeurs leur permettait de les transformer lorsqu'ils les donnaien à entendre, provoquant ainsi l'admiration des auditeurs.