CONCLUSION GENERALE

Rappelons notre point de départ. Dans l’univers de la musique baroque française, la vielle à roue bénéficie d’un destin prestigieux, durant une période brève, correspondant à l’époque du baroque tardif, à peu près entre les années 1725 et 1765. Elle est alors l’objet d’un engouement des milieux aristocratiques allant jusqu’à gagner certains membres de la famille Royale et même la reine. Apparemment rien ne l’y préparait, et cette adoption soudaine par des personnes de qualité est fort étonnante.

Pour résumer brièvement notre démarche, disons que nous avons voulu faire état du parcours de la vielle à roue sous le règne de Louis XV en répondant à trois questions :

-Pourquoi la vielle séduit-elle le monde de l’aristocratie et des « personnes de qualité » ?

L’Arcadie est un mythe très actif dans l’aristocratie qui cultive la représentation d’un villageois idéalisé, figure du berger mythique de Virgile. Un aspect de la musique baroque française témoigne de cette quête nostalgique. Or, à l’orée de l’époque baroque, la vielle à roue est, avant tout une lira mendicorum, un instrument pour les gueux qui officient au coin des rues et, de ce point de vue, l’intérêt que vont lui porter les « gens de qualité » est surprenant. On ne peut comprendre son utilisation à l’ombre du mythe arcadien qu’en prenant en compte deux autres caractéristiques de l’instrument : d’une part la vielle à roue est aussi, comme la musette, un instrument paysan, d’autre part elle apparaît comme un ensemble étrange (pour l’œil, l’oreille et même le toucher quand on la joue) propre à faciliter les productions de l’imaginaire. Chacune dans leur domaine, ces deux caractéristiques constituent la vielle comme un objet-vecteur possible et même privilégié pour « communiquer » avec le mythe arcadien.

-Comment la vielle y parvient-elle ?

Deux démarches sont menées simultanément à l’époque baroque. D’une part on travaillera à décontaminer l’instrument, à le débarrasser de tout ce qui évoque son passé d’instrument truand, outil de mendicité. D’autre part, on favorisera sa mutation, afin qu’elle ne soit plus instrument de paysan réel mais instrument de paysan idéalisé, revendiquant le titre de « lyre d’Apollon ». Luthiers, interprètes, commentateurs, aristocrates intéressés par l’instrument vont travailler à cette décontamination mais aussi à cette mutation. Ainsi magnifiée la vielle devrait trouver naturellement sa place dans le panthéon des instruments de l’orchestre baroque.

-Pour quelle finalité ? Pour interpréter quelle musique ?

A l’orée de l’époque baroque et en excluant le jeu mendiant et ses caractéristiques organologiques, la musique qui convient à la vielle est la musique champêtre bien apte à servir de support à l’évocation arcadienne. Cette musique champêtre n’est pas « rustique », elle n’est pas un simple collectage de mélodies paysannes ou imitation de celles-ci. Elle s’appuie sur le rustique mais c’est pour le transformer grâce au processus de baroquisation.

Par ailleurs, une partie de la musique baroque française tend à ne plus se référer au mythe arcadien ; nous avons appelé « musique émancipée » l’ensemble de ces œuvres qui s’en dégagent et affirment le point de vue selon lequel la musique se suffit à elle-même, ne tenant sa valeur que d’elle-même et non pas d’une « cause » qu’elle défendrait ou illustrerait. Il existe aussi un répertoire de cette nature consacré à la vielle.

A partir de ce canevas, nous pouvons rendre compte de façon plus précise de notre démarche ainsi que des interrogations qui sont restées non résolues et des problèmes qui sont apparus et que nous avons seulement commentés.