22.1.3. Le mendiant et l’imaginaire.

Cette incongruité devient compréhensible si l'on interroge le personnage du mendiant dans sa dimension imaginaire 1 .

a) Dès l'Antiquité le personnage du mendiant errant inquiète, il peut être ce qu'il montre, un simple vagabond, mais il peut être ce qu'il cache, un dieu venu sur terre visiter les humains et il devra alors recevoir toute la considération que mérite le divin.

b) Avec le Christianisme, se développe une problématique voisine : le mendiant, et plus généralement le pauvre, est un personnage dont il n'est pas aisé de saisir l'identité. Seule une observation attentive de sa façon d’agir permettrait de savoir si le mendiant est un «pauvre de Dieu», à considérer comme une image du Christ ou «un pauvre du démon», un misérable, un «mauvais pauvre».

c) Or l'imprégnation culturelle des aristocrates est double. D'une part ils vivent dans un monde chrétien, d'autre part ils se réfèrent à l'Antiquité et côtoient les mythes que celle-ci a développés. Peut-être sont-ils donc prêts à considérer que le personnage du gueux pourrait être autre chose que l’objet repoussant qu’il donne à voir dans une première approche.

d) D'une façon générale, le recours aux mythes s'appuie sur une réalité sociale qui nourrit l'imaginaire ; en retour, cette même réalité est interprétée à partir des mythes en activité à un moment donné. En ce qui concerne notre propos, cette réalité d'appui pourrait être ces «Petits Savoyards» qui, par temps de crise économique, viennent de leur lointain pays chercher quelque argent à Paris 1 . On leur prêtera alors toutes les qualités du «bon pauvre». Ils sont naïfs et innocents, ils ne rechignent pas à la peine, ils sont porteurs de valeurs morales prisées : fidélité, attachement à leur famille et à leur terre… Ces bons enfants sont connus pour se déplacer avec leur vielle et en jouer dans les rues de Paris. Cette vielle est «sanctifiée» entre ces mains vertueuses, elle n'est plus instrument des pauvres du démon, elle peut s'affirmer comme instrument des pauvres de Dieu.

e) Il faut aussi prendre en compte la dimension imaginaire qui infiltre l’instrument vielle à roue 2 . Elle est d’une inquiétante étrangeté : son apparence physique pour qui la regarde, ses sonorités venues d'ailleurs pour qui l'écoute, les sensations étranges qu'elle provoque pour qui en joue en font un objet mystérieux pour l’œil, l’oreille et même le toucher. Elle ne se laisse pas réduire facilement à l'évidence d'un statut social d'instrument seulement vulgaire et destiné à de simples mendiants.

Notes
1.

Voir chapitre 5. : L’instrument truand.

1.

Voir chapitre 7. : Les petits Savoyards ou la réconciliation.

2.

Voir chapitre 6. : L’infiltration imaginaire.