22.2.2. Une mutation.

L'instrument du vice (du misérable), activement attaqué et détruit, laisserait alors la place à l'instrument de la vertu populaire (du bon pauvre). Or certaines vertus (simplicité, pureté, naïveté) que l'on reconnaît à celui-ci sont aussi celles qui sont prêtées au villageois ou au berger, sous l'emprise du mythe de l'Arcadie.

En tant que tel, un instrument populaire a peu d'intérêt pour l'aristocrate, il est d'un autre monde. En revanche, grâce à un processus d'idéalisation dont ce même aristocrate est l'auteur, si le populaire se fait berger ou villageois, il devient plus que ce qu'il donne à voir, il devient personnage mythifié issu de l'Arcadie, proche des dieux qu'il fréquente ; il permet cette identification en clin d'œil, dont nous parlions plus haut, à un villageois qui n'est plus un villageois ou qui est plus qu’un villageois.

Il s’agit donc de s’emparer d’une musique rustique paysanne ou donnée pour telle et de la transformer en musique champêtre, au service du mythe arcadien. Selon nous, ce que nous nommons baroquisation en permet la réalisation.

Alors la vielle, instrument du gueux et du paysan, a changé de nature. Elle est décontaminée de ce qui en faisait un instrument de gueux, elle n'est plus mendicorum. Mais comme instrument paysan, elle est, de plus, « transcendée ». A ces deux conditions elle est devenue instrument d'aristocrate, elle participe à l'idéalisation et entre dans le mythe, au titre d'objet-vecteur encourageant l'illusion de rejoindre celui-ci. Comme en témoignent de nombreuses allusions dans les textes de l'époque, ni gueuse ni paysanne est la lyre d'Apollon.

Cette nouvelle vielle devra démontrer un certain nombre de qualités musicales :

1- Il lui faudra devenir un instrument de dessus, avec une mélodie qui se détache sur le fond sonore des bourdons

2- Il lui faudra montrer qu’elle est capable, qu’au même titre que le clavecin, d’un jeu brillant dans les pièces de mouvement et dans les mouvements rapides, qu’elle permet donc un jeu « volubile » comme on dit à l’époque.

3- Il lui faudra savoir faire preuve, au même titre que le violon, de tendresse et de sensibilité dans les pièces lentes, ce que l’on appellera « jouer selon le goût ».