22.3. Le vulgaire et l’angélique.

On remarquera que ce mécanisme de déconstruction/reconstruction pourrait être un cas particulier du système de tension qui persisterait pendant toute l'histoire entre deux esthétiques musicales. Il y aurait la musique qui utilise des sonorités «impures» ou imparfaites auxquelles peuvent se joindre des «bruits» pour aboutir à un son sali 1 , comme si elle voulait rester au plus prêt des comportements humains, de la sensualité et de la vie quotidienne. Il faudrait détruire cette musique d'essence «vulgaire» souvent qualifiée de satanique, parce qu’elle «attirerait l'homme vers le bas» et déclenchait ses «instincts» ; il faudrait lui substituer une musique «angélique». Cette dernière, voulant élever l'homme, fait effort pour déployer des sons purs, délivrés de toutes scories, qui monteront dans les cieux et plairont à Dieu 2 .

Peut-être l'histoire de la musique au Moyen Age, envisagée dans ses rapports avec la religion, est-elle constituée de ces tentatives pour faire advenir l'angélisme des sonorités contre une musique vulgaire, excitante, portant la marque du démon. Mais ce mouvement en tension n'est pas caractéristique de la seule musique religieuse, ni du seul Moyen Age ; il s'agit d'esthétique, d'une question très fondamentale de «goût» 1 . Pour ce qui est de notre musique contemporaine, on peut par exemple comprendre l'utilisation systématique et renforcée des bruits qui accompagnent le son d'un instrument (et que les musiciens d'une époque précédente veillaient à éliminer), comme un avatar de cette musique sale à laquelle d'autres compositeurs vont, au même moment, s'opposer.

Pour en revenir à la vielle à roue, on notera que le chevalet mobile qui est la première originalité de l’instrument entraînerait celui-ci du côté d'une esthétique « vulgaire » ou « impure », au moins s'il était utilisé en continu pour produire ce grésillement perpétuel dont l’objectif est bien de salir le son. L'entreprise de purification baroque passera donc, comme nous le rappellerons, par une mutation de la fonction du chevalet mobile.

Notes
1.

Voir chapitre 13. : Contremusique et son sali.

2.

Les propositions de Hénnion (La passion musicale, Paris, Métailié, 1993, p.60/61) sont très éclairantes sur ce point. Nous les évoquons chapitre 3, section3.3.5 : La question de l’inégalisation des notes brèves.

1.

Dans un essai d'une toute autre nature puisqu'il concerne les institutions, nous avons déjà mis au travail l'opposition des deux catégories anthropologiques du pur et du sale qui nous paraissent intéressantes pour permettre une approche de certaines positions existentielles (voir Fustier, Paul, Les corridors du quotidien, Lyon, P.U.L., 1993, p.130-135).