22.4.2. Chanterelles et bourdons

Les modifications réalisées sont autant de tentatives pour débarrasser la vielle de ses relents misérables et lui donner un autre statut 1 .

Avant la période baroque, la vielle comporte assez généralement trois chanterelles, deux à l’unisson et l’une à l’octave ; mal accordées elles produisaient des sons désagréables. Les musiciens de l’époque baroque résolvent le problème en supprimant la chanterelle grave, tout en laissant à l’unisson deux chanterelles aiguës, faisant entendre un sol à vide, et jouant le plus souvent avec une étendue de deux octaves. Ce réglage permettra aux compositeurs d’inclure la vielle dans la liste des instruments de dessus.

La présence des bourdons est aussi à interroger. Probablement sont-ils extrêmement bruyants dans le jeu mendiant, exerçant par-là une fonction d’appel des passants charitables ; probablement couvrent-ils alors le son des chanterelles, servant par la même occasion de « cache-misère » pour les approximations musicales et les divers bruits parasites qu’une vielle peut émettre. Supprimer purement et simplement les bourdons aurait pu être une manière de débarrasser l’instrument de sa gueuserie ; or il n’en a rien été. Pourquoi donc les conserver, alors qu’ils limitent les possibilités de l’instrument en l’obligeant à jouer en Do ou en Sol ? Probablement parce que si, d’un certain côté, ils évoquent le gueux, d’un autre côté, ils évoquent traditionnellement le villageois et sa musique, donc une filiation revendiquée.

Mais il faut de plus transformer l’instrument, pour que de villageois il devienne aristocratique, apte à jouer de la musique champêtre et non rustique. C’est d’abord une question d’équilibre sonore. La vielle ne saurait devenir un véritable instrument pour la musique baroque que si les deux chanterelles qui jouent la mélodie manifestent une vigueur sonore qui s'impose aux bourdons. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de lutherie, mais aussi d’une question de réglage : il fallait donner aux chanterelles un maximum de puissance mais aussi atténuer les bourdons pour qu'ils deviennent un accompagnement de la mélodie, une basse continue modeste, sommaire et monochrome. Il s’agit bien d’une mutation et non d’une simple correction si l’on suit l’hypothèse dont nous avons précédemment fait état 1  : les chanterelles qui, au Moyen Age, étaient "du dedans" de l'univers sonore, deviennent un dessus et les bourdons qui entouraient ou contenaient la mélodie prennent place « dessous » avec une plus faible puissance sonore. D'où l'importance des réglages, qu'il s'agisse du diamètre des différentes cordes ou de l'ajustement de l’appui des cordes sur la roue.

Par ailleurs, la possibilité de rechercher les dissonances expressives par des changements de tonalité avec bourdons constants sera exploitée par d’excellents musiciens spécialistes en vielle comme Dupuits ; on est alors très loin d’une musique populaire villageoise, la vielle s’essaye alors le plus souvent à une autre forme de musique savante, celle que nous avons appelée émancipée.

Notes
1.

Voir chapitre 16. : Chanterelles et bourdons.

1.

Voir chapitre 16, section 16.3. : Repenser les relations entre chanterelles et bourdons.