Avec la roue, l'existence d'un chevalet mobile est la deuxième caractéristique « anatomique » spectaculaire de la vielle 1 . Or il est violemment attaqué par les adversaires de l’instrument et par certains des ses admirateurs ; son grésillement rappelle en effet l'instrument des mendiants, sonnant, au coin des rues, pour obtenir la charité publique. On aurait donc pu penser que les musiciens baroques qui se préoccupent de vielle, feraient, sans hésitation, disparaître le chevalet mobile. Il n'en a rien été ; seul Bâton semble défendre une position radicale de suppression.
Les auteurs baroques ont préféré proposer, en ce qui concerne la corde trompette et le chevalet mobile, une autre façon de les utiliser et une signification nouvelle. Ils en ont fait un système possible d'articulation permettant de détacher certaines notes ou phrases mélodiques, par opposition au jeu lié ou à d’autres formes d’articulation moins marquées.
Cette modification éloigne considérablement la vielle baroque de celles qui l'ont précédée 1 . En effet, la vielle des gueux, dont la vocation est d'attirer le chaland, devait nécessairement être entendue de loin, donc être bruyante. Les vielleux devaient accorder de l'importance à la puissance du grésillement produit par le chevalet mobile plutôt qu'à la mélodie faible que les chanterelles donnaient à entendre. La vielle paysanne, quant à elle, instrument à faire danser, se devait de marquer le rythme et les pas des danseurs en accentuant la fonction de percussion que peut remplir le tapement du chevalet mobile, là encore aux dépens de la mélodie qui pouvait être doublée avec un violon.
En revanche, les musiciens baroques vont donner à la corde trompette et au chevalet mobile une place à l'intérieur du système mélodique, en les soumettant au chant et à son interprétation. Si l'on arrive à rendre non systématiques les tapements du chevalet sur la table d'harmonie et à les atténuer suffisamment pour qu'ils deviennent seulement une façon de détacher certaines notes ou certains groupes de notes, alors la vielle n'est plus un instrument composite, le résultat d'une juxtaposition, elle devient un instrument de « musique harmonieuse », même si elle reste toujours productrice de « sons salis » 2 .
Voir chapitre 13 : Contremusique et son sali et chapitre 14 : La trompette de la vielle et l’articulation du poignet.
Voir chapitre 17. : Les jeux de la vielle.
Voir chapitre 13 : Contremusique et son sali.