22.11. Faut-il jouer de la vielle et ne jamais l’écouter ?

Risquons, pour terminer, une proposition radicale. Peut-être la vielle n’est elle pas un instrument fait pour être entendu par des auditeurs venus pour l’écouter. Nous pourrions défendre l’idée que la vielle a comme fonction d’être seulement jouée. Elle serait majoritairement utilisée par des amateurs 1 prenant plaisir à produire de la musique et beaucoup plus rarement par des personnes voulant se faire entendre devant un public. Certes un virtuose comme Danguy joue devant la reine ou la famille royale, se produit au Concert Spirituel et se déplace même à Lyon pour donner une sorte de récital de vielle organisée… Mais très rares sont les interprètes qui atteignent ce statut de soliste ou même de concertiste professionnel. On peut se demander si les quelques virtuoses répertoriés ne servent pas seulement d’alibi, permettant de certifier que la vielle est un instrument digne d’être entendu en concert, alors que dans la réalité de sa pratique sociale, elle est essentiellement un instrument pour aristocrates et personnes de qualité, destiné à des joueurs amateurs, leur donnant le plaisir de jouer seul ou à plusieurs.

Si l’on admet qu’un interprète « amateur » entend moins ce qu’il joue en réalité que ce qu’il a l’intention de jouer ou ce qu’il voudrait jouer, c’est à dire ce que lui suggère son idéal en musique, alors il faudrait dire que la vielle est bien un instrument pour l’amateur, capable d’entendre dans ce qu’il joue, au delà de la vielle réelle et de ses limites, cet instrument de l’idéal que certains, au XVIIIe siècle, ont rêvé de réaliser.

Notes
1.

Pour une étude approfondie de ce qui distingue l’amateur du professionnel on se reportera à l’ouvrage collectif Les divertissements utiles des amateurs au XVIII e siècle (sous la direction de Jean-Louis JAM), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal. Deux contributions éclairent particulièrement notre propos : la préface de Jam intitulée « De la distinction au ridicule », p.11/20 et, du même, l’article « Caylus, l’amateur crépusculaire », p.21/37.