La lutherie (variable B)

Les formes de la vielle apparaissent stabilisées en trois types d'instruments : 15 vielles sur 49 sont trapézoïdales (soit 31%), 16 sont en forme de guitare (soit 33%), 18 sont en forme de luth (soit 37%). Aucun instrument d'une autre forme n'apparaît dans l'échantillon.

Cette égalité dans la distribution « à plat » peut masquer une opposition diachronique. Nous avons donc croisé la variable « lutherie » avec la variable « date ». On a constitué ainsi un sous-échantillon de 35 œuvres permettant une datation et dans lesquelles la forme de la vielle est repérable.

Les résultats sont les suivants :

-Pour les vielles trapézoïdales, sur un échantillon de 10 œuvres, une moyenne située entre l'année 1713 et l'année 1714.

-Pour les vielles en guitare, sur un échantillon de 11 œuvres, une moyenne correspondant à l'année 1745. L'œuvre la plus ancienne daterait de 1734, la plus récente de 1761.

-Pour les vielles en forme de luth, sur un échantillon de 14 œuvres, une moyenne correspondant à l'année 1753. L'œuvre la plus ancienne daterait de 1720. Ce dernier cas est unique, très isolé, il s’agit peut-être d'une erreur, si l'on considère que l'œuvre qui, dans notre échantillon vient immédiatement après, date de 1741 et la suivante de 1754. On peut penser que l'on rencontre ici un cas de cette distorsion qu'introduit notre mode de datation, le tableau ayant alors été probablement réalisé par un artiste ayant nettement dépassé l'age de trente ans. Nous avons daté de 1780, à une période où le déclin de la vielle a déjà commencé, l'œuvre la plus récente montrant une vielle en luth.

Le test statistique de Kruskall-Wallis, significatif à p.0001, indique clairement l'antériorité de la vielle trapézoïdale sur les deux autres modèles, on la trouve effectivement représentée par des artistes dont les œuvres datent de la première partie du XVIIIe siècle.

A cette première génération d'instruments succèdent, nettement plus tardivement, des vielles en corps de guitare et en corps de luth. Ces deux modèles seront considérés comme caractéristiques de l'instrument baroque et les vielles paysannes du XIXe et du XXe siècles voudront les imiter. Le léger décalage dans le temps que montre notre échantillon (année moyenne 1745 pour les vielles en guitare, 1753 pour les vielles en luth) n'est pas statistiquement significatif (test de Kruskall-Wallis). On ne peut donc, que de façon très réservée, émettre l'hypothèse que ce décalage de huit ans conforterait l’opinion de Terrasson 1 qui pense que les premières vielles en forme de luth sont apparues en 1720, quatre ans après les vielles en forme de guitare dont Bâton aurait commencé la fabrication en 1716. Si l'on considère que les deux dates citées par Terrasson sont exactes, on voit que les peintres ne se sont intéressés aux nouvelles formes de l'instrument qu'après un temps de latence relativement important, correspondant sans doute à la montée en puissance de la vielle dans les milieux aristocratiques.

Notes
1.

TERRASSON, Antoine, Dissertation historique sur la vielle. Où l’on examine l’origine et les progrès de cet instrument, Paris, 1741.