« L’espace peut alors devenir un lieu de déploiement ou de spoliation, selon que la possibilité de le parcourir s’inscrira dans l’activité du sujet comme ressource ou comme entrave, selon qu’il sera une invite permanente à l’action ou la forme réitérée d’un enfermement : cette capacité sociale différentielle, que donneront aussi bien le statut social concret que le cadre étatique d’existence, renouvelle la problématique identitaire de l’ancrage en pluralisant ses modes d’actualisation. Un lieu, un quartier, une ville, un pays ne se définissent plus comme ports d’attache uniquement parce que l’on en est, mais également et peut-être surtout parce qu’ils sont des étapes, des points nodaux dans des parcours à la fois singuliers et collectifs. À la problématique statique de l’origine et de l’appartenance, se substituerait une problématique du devenir, des investissements inscrits dans les nœuds spatio-temporels de traces multiples. À un imaginaire du point, ou du lieu comme point, se substituerait un imaginaire de l’espace, du lieu comme déploiement » (Berthelot, 1996 : 156).
Il peut sembler périlleux d’avoir choisi de placer un objet d’étude sous les feux d’un phénomène auquel les sciences sociales font de plus en plus appel, et parfois à tous les vents, tel celui de la globalisation. Cette décision n’est cependant pas commandée par un simple désir de commodité ou par le souci d’ « être de son temps ». Bien délimitée, la globalisation offre un angle d’approche pertinent pour la compréhension sociologique d’un phénomène – les mobilités internationales des individus – qui est porté par elle, en même temps que ses protagonistes s’en font les porteurs.
Faisons tomber dès l’instant un quiproquo potentiel : les mouvements de population ne sont pas une réalité nouvelle dans l’histoire de l’humanité, pas plus d’ailleurs que ne l’est le phénomène de la globalisation. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les exemples des tribus traditionnelles de chasseurs-cueilleurs et des peuples de pasteurs, ou encore de rappeler à la mémoire que les catastrophes écologiques, les guerres, les nécessités économiques ont de tout temps été le vecteur de déplacements de grands groupes. Toutefois, les flux migratoires internationaux des vingt ou vingt-cinq dernières années présentent, lorsque ce n’est pas directement de nouveaux visages, des traits accentués qui ne passent pas inaperçus. Aux « oiseaux de passage » 1 , travailleurs immigrés peu qualifiés en provenance d’une région rurale du Tiers-Monde, partis dans un pays industrialisé souvent avec l’intention de retourner ultérieurement auprès des leurs, s’ajoutent désormais d’autres formes de migrations qui varient tant dans leurs rythmes que dans les lieux et les catégories de population qu’elles mettent en jeu.
En référence au titre de l’ouvrage de Piore (1979) consacré aux processus migratoires de travailleurs non qualifiés durant les années 60 et 70.