4. Les hypothèses de recherche

Nous posons l’hypothèse générale que les usages et les représentations de l’espace international s’expliquent par les transformations économiques, sociales et culturelles portées par la globalisation. Les individus conçoivent l’espace international comme une ressource et, dans ce cadre, la mobilité étudiante internationale constitue une stratégie permettant d’y accéder. Cela dit, les modalités objectives et subjectives d’appropriation et de capitalisation de l’espace international sont multiples, varient en fonction d’un ensemble de facteurs – contexte sociétal (système d’éducation, marché du travail), position sociale, culture d’origine, niveau et domaine d’études – et font face à des modes de reconnaissance contrastés selon les domaines professionnels. Dans la suite de ce travail, cette hypothèse sera analysée par l’entremise des trois hypothèses opérationnelles suivantes.

Une première hypothèse postule que les États et les universités font actuellement appel au processus de la globalisation afin de promouvoir l’espace international comme champ vénéré de socialisation professionnelle. Toutefois, les expériences internationales rencontrent des formes de reconnaissance différenciées selon les catégories d’étudiants et les domaines professionnels dans lesquels ceux-ci sont amenés à s’engager tout au long de leur parcours. D’une part, les jeunes se saisissent du séjour d’études à l’étranger pour atteindre des objectifs qui diffèrent parfois de ceux visés par les institutions, ce qui laisse supposer que l’espace et la mobilité sont injectés d’une pluralité de sens selon les mondes sociaux. D’autre part, l’expérience internationale des jeunes bénéficie, à leur retour de l’étranger, d’une reconnaissance sociale différenciée en fonction de la forme prise par le séjour – type de programme grâce auquel ils ont réalisé leur mobilité, pays et université de destination, domaine et niveau d’études – et de leurs origines sociétales. Cela donne à voir des rapports à l’espace et à la mobilité différenciés ainsi qu’une hiérarchisation sociale des formes de mobilité étudiante internationale. Si l’espace international est un bien hautement considéré dans le monde de l’éducation, elle est un phénomène complexe qui fait l’objet de différentes représentations selon les sociétés et les autres univers de la vie sociale.

Une deuxième hypothèse avance que le sens et l’usage des jeunes de la mobilité internationale dans le cadre des études permettent de comprendre comment intervient l’espace dans le travail d’ajustement entre leurs aspirations personnelles et les contraintes et possibilités que présentent, notamment, les systèmes éducatifs et les marchés du travail. Nos analyses visent à identifier et à définir les modalités d’appropriation et d’agencement des lieux mises de l’avant par les jeunes en fonction de leurs attentes construites par les contextes structurels, leurs engagements relationnels, l’étape de leur carrière de socialisation professionnelle dans laquelle ils se trouvent et leurs caractéristiques personnelles.

Enfin, notre troisième hypothèse postule que si l’institutionnalisation grandissante de la mobilité étudiante internationale contribue à la démocratisation de son accès, ses effets ultérieurs sur le parcours des jeunes sont différenciés. Des étudiants aux appartenances sociales multiples ont désormais accès au séjour d’études à l’étranger et mobilisent les dispositifs institutionnels nécessaires à la réalisation effective de cette expérience. Seulement, les incidences objectives et subjectives de celle-ci sur la suite de leur formation académique et sur leur processus d’insertion socioprofessionnelle ne sont pas également réparties. Nous postulons que les représentations et les modes d’exploitation de la ressource spatiale par les jeunes durant et à la suite d’une mobilité étudiante internationale sont déterminés par leur position initiale dans la structure sociale, les contraintes et opportunités institutionnelles, et l’accumulation d’expériences antérieures de mobilité internationale. En d’autres termes, les capacités d’agencer et d’harmoniser les multiples situations sociales déspatialisées en une carrière relativement cohérente dépendent de variables structurelles et structurales, mais aussi des compétences individuelles à circuler – compétences qui, selon nous, ne dépendent pas forcément de la position initiale dans la structure sociale. Ensemble, ces conditions objectives et subjectives donnent lieu à la construction de modes de vie particuliers.

Avant d’expliciter plus avant les caractéristiques socio-économiques et politiques de la conjoncture dans laquelle prend place le phénomène de la mobilité académique, voyons en détail la démarche méthodologique qui fut la nôtre. Si notre objet implique mobilité et internationalité, mouvance et globalité, il prend néanmoins corps dans des formations sociétales localisées qu’il convient de délimiter.