2.1.1 La récolte des entretiens

Si la valeur heuristique du récit biographique paraît établie, certains biais peuvent s’introduire selon d’abord la constitution des échantillons d’entretiens et en raison du fait que les entretiens s’inscrivent dans des situations d’interaction sociale et présentent donc une certaine indétermination et inconstance les uns par rapport aux autres.

Qui, exactement, rencontrer? Comment entrer en communication avec la population porteuse des caractéristiques et des expériences au fondement de la problématique de recherche? De plus, compte tenu qu’il n’est pas possible, faute de moyens mais aussi tout simplement parce que là n’est pas sa vocation, de récolter un échantillon d’entretiens biographiques statistiquement significatif, combien de récits doivent alors être amassés? Enfin, jusqu’à quel point est-il possible de réaliser un entretien non directif qui, dans la pratique, ne soit effectivement pas directif? Le chercheur soucieux d’user de l’approche biographique doit pouvoir répondre à ces questions récurrentes s’il veut satisfaire aux règles de la méthode scientifique.

En ce qui concerne la présente étude, trois principaux critères ont servi à la délimitation de la population des jeunes mobiles. Les jeunes rencontrés devaient avoir réalisé au moins un séjour d’études à l’étranger dans le cadre de leur formation universitaire, ils devaient être de retour dans leur pays d’origine, et ils devaient occuper un emploi ou être en recherche d’emploi au moment de l’enquête. Parallèlement à cette sélection, nous avons cherché à obtenir la collaboration d’un nombre relativement égal d’hommes et de femmes, de même que nous avons fait attention à diversifier les secteurs disciplinaires d’études. Enfin, mentionnons qu’une contrainte d’ordre pratique s’est ajoutée à ces critères de choix dans la mesure où les personnes interrogées devaient être disponibles et présentes dans les villes où la chercheure se trouvait ou vers lesquelles elle pouvait se déplacer.

Puisque les conditions structurelles et institutionnelles dans lesquelles se produisent les séjours d’études à l’étranger ne sont pas tout à fait les mêmes en France et au Québec, la constitution de nos deux échantillons sociétaux ne fut pas aussi aisée que cela avait été pensé a priori. D’abord, et ce qui est commun aux deux sociétés, le caractère mobile des populations visées nous a donné du fil à retordre. Plusieurs des jeunes avec lesquels nous sommes entrés en contact électronique (ou avec leur famille), tant en France qu’au Québec, étaient toujours à l’étranger au moment de l’enquête ou résidaient à une certaine distance géographique des lieux de l’enquête. Ensuite, les systèmes éducatifs et les dispositifs de mobilité étudiante internationale propres à la France et au Québec, comme nous le verrons, présentent des différences qui ont nécessairement conduit à certaines divergences entre les deux échantillons d’entretiens. Alors qu’en France, le programme ERASMUS d’échange d’étudiants et de bourses ainsi que le programme de bourses de formation à l’étranger de la région Rhône-Alpes, lieu principal de l’enquête, existent depuis 1987, nous ne trouvons pas leur équivalent au Québec, du moins pas depuis aussi longtemps. Par conséquent, l’entrée en communication avec d’anciens étudiants mobiles québécois de retour dans leur société et ayant complété leur formation fut plus ardue qu’en France. De plus, les contraintes rencontrées sur les terrains français et québécois nous ont forcé à négliger les doctorants français tandis que, à l’inverse, nous avons été conduit à faire appel à des doctorants québécois. Par conséquent, un portrait légèrement différent est observable entre les échantillons français et québécois en ce qui concerne le niveau de diplôme des jeunes au moment de leur départ à l’étranger de même qu’au regard du niveau de diplôme finalement obtenu. Ce sera là toute la pertinence de la présente étude que de faire ressortir les modalités différenciées d’appropriation concrète et symbolique de l’espace par les jeunes en fonction de ces conditions institutionnelles et de ces caractéristiques structurelles différenciées.